lundi 4 janvier 2021

Twistoire

 Salut!

En écoutant un balado l'autre jour (j'en écoute à tous les jours, ne me demandez quel jour je l'ai écouté), je suis tombée sur cette expression en anglais que je traduis avec son plus proche équivalent en français: twistory, l'art de tordre l'Histoire.  Le balado portait sur Hollywood en guerre et expliquait comment le cinéma, et plus tard la télévision, avait façonné l'image que nous nous faisons des deux guerres mondiales du XXe siècle, puis de celles qui ont suivi: Viêt Nam, Koweit, etc.  Ici, les faits peuvent être réels, mais l'histoire que l'on raconte peu être très éloignée de la réalité historique.  L'armée américaine, sauveuse du monde et porteuse de la flamme de la liberté face à l'Allemagne nazie?  C'est hautement simpliste, la réalité est plus nuancée: nos voisins du sud avaient des intérêts politiques, économiques et militaires à s'engager, ils ne l'ont pas fait par seule bonté d'âme.  D'ailleurs, ils ne se sont pas impliqués dès le début de la guerre, sauf qu'ils ont pris la majeure partie de la gloire de la victoire.  Mais bon, si vous avez vu n'importe quel film d'Hollywood sur cette période, ça fait de saprées bonnes histoires non?

L'Histoire, et cela, bien des historien.ne.s en sont conscient, n'est pas nécessairement quelque chose de vivant.  Des piles de documents poussiéreux ou des tablettes couvertes d'inscriptions incompréhensibles peuvent faire sauter de joie les chercheur.se.s, mais pour le commun des mortels, c'est, au mieux, ennuyant.  Mais si on raconte l'histoire derrière ce document poussiéreux ou cette tablette gravée, on va la rattacher à des gens et eux, ils ont une histoire.  Et d'un coup bang, ça peut devenir passionnant.  Le hic, c'est que la personne qui raconte a un but en racontant.  Aucune narration n'est neutre à la base.  Si on raconte le passé, on a un point de vue sur ce passé.  C'est souvent ainsi que le même événement historique est raconté de façon différente selon qui raconte.  Pensez aux Plaines d'Abraham...

Et quand la fiction s'en mêle, on brouille les cartes.  Quand on raconte la Deuxième Guerre mondiale, au cinéma ou à la télévision, si on ne montre que des mouvements de troupes à l'écran, les décisions des généraux ou l'entraînement des soldats, les gens n'accrocheront pas.  Mais si on leur donne un personnage auquel s'identifier, à suivre dans les dédales de cette histoire, qui entre en contact avec des faits déjà connus qui sont dans les bouquins d'histoires, les gens accrochent.  On se dit (et on se le dit tous, ne soyons pas naïfs), ah oui, c'était comme ça!  Et si on répète, film après film, série après série, la même version de qui est le gentil, qui est le méchant de l'histoire, qui avait raison, qui avait tort et qui était légitime à agir de la façon dont il l'a fait, on crée une version de l'histoire qui s'éloigne lentement des faits bruts.  Celle-ci finit par être plus importante dans la conscience des gens que la vérité historique.  Parce qu'elle est souvent plus intéressante, plus stimulante et bon soyons honnête, plus séduisante que les récits érudits...

Le dilemme est ici: la fiction est un excellent véhicule pour transmettre l'Histoire justement à cause de ces caractéristiques.  Le hic, c'est qu'il est facile de tordre l'Histoire grâce à la fiction.  Les connaissances historiques de la majorité des gens se fondent sur les récits de fiction et ici, je ne blâme pas les cinéastes qui se trompent dans les années de fabrication d'une voiture ou sur la longueur des robes dans une reconstitution historique.  Ça, ce sont des détails qui ne changent rien.  Pas comme prêter des intentions à un personnage historique.  Pas comme donner un autre sens à une bataille.  Pas comme ajouter des détails dont on n'est pas certain ou carrément en inventer quand on ne sait pas.  Ça c'est important, ça, ça change la perspective.  Mais ce sont aussi parmi les plus puissants moyens de transmettre une fiction et de faire en sortent que les gens prennent du plaisir à la lire ou à la regarder.  Alors...

C'est facile de tordre l'Histoire avec des histoires.  C'est pour cela que toute fiction historique doit être prise avec des pincettes.  L'essentiel peut être excellent.  Mais c'est si facile de le dénaturer avec la fiction qu'il faut prendre des précautions quand on est en contact avec elle.

@+ Mariane

2 commentaires:

Gen a dit…

J'applaudis évidemment ce billet, même s'il me rappelle mes horribles cours d'épistémologie de l'histoire! Lolol!

L'Histoire est toujours écrite, toujours racontée. Elle n'est donc JAMAIS neutre, même dans les manuels (y'a qu'à voir comment on parle des Amérindiens dans les manuels d'histoire du Canada).

Alors oui, l'Histoire en fiction peut être tordue et dangereuse, mais il y a deux causes à ça :
1- les auteurs malhonnêtes qui disent que oui, oui, tout est vrai, ils ont cherché (alors que y'ont cherché la longueur de la jupe, mais pas la philosophie de l'époque face à la mort, dans un roman où c'est central!)
2- les lecteurs qui oublient que quand c'est écrit "roman" dessus, y'a de la fiction dedans!

Prospéryne a dit…

(désolée pour le désagréable rappel)

1- On ne peut jamais reproduire complètement une époque, même si on l'a vécu. On aura forcément à mettre l'accent sur A ou B et ce faisant, à négliger le reste des lettres de l'alphabet. Donc oui, toute fiction historique aura des trous. D'autant plus que c'est avant tout une histoire que l'on veut raconter!

2- Oui, mais les auteur.e.s ont tellement le talent de rendre ça réaliste! C'est facile d'oublier...