jeudi 6 octobre 2011

La culture du livre et la culture du numérique

Salut!

Je réfléchis beaucoup ces derniers temps.  Je suis de celle qui croit fermement que ce n'est pas en restant campée sur ses positions que l'on avance dans la vie et que c'est en confrontant nos idées avec celle des autres que l'on peut à la fois apprendre et faire changer un tantinet d'opinion les gens avec qui l'on discute.  Un genre de trucs à double-sens!  Ne me croyez pas si pure: quand je discute, je remets autant mes idées en question que je porte les autres à remettre en question les leurs.  Héhé!  Dans ce sens, j'ai discuté et je suis plusieurs blogues qui parlent du numérique et je suis très impliquée dans le réseau actuel du livre papier.  À la croisée des mondes.  Les deux me semblent parfois appartenir à deux planètes différentes qui ont du mal à se rencontrer et encore plus à se comprendre.  Ils appartiennent tous les deux à deux cultures très différentes: la culture du livre et la culture du numérique.

Première des choses, je ne dénigre pas ici le livre numérique, je parle plutôt la culture qui va avec.  Et je prends ici le mot culture dans le sens de: «ce qui est commun à un groupe d'individus et comme ce qui le "soude"» dixit Wikipédia.  La culture du livre et la culture du numérique est radicalement différente et fait s'entrechoquer deux visions du monde aux antipodes.  Elles ne sont pas contradictoire, mais elles partent sur des prémisses complètement différentes.

La culture du livre est celle que je connais le mieux.  Vraiment et de loin.  Je suis tombée dedans comme Obélix dans la marmite de potion magique quand j'étais petite et j'ai grandi avec.  Dans cet univers, on parle du livre papier, c'est le matériau de base de cette culture.  Le as-tu lu le livre signifie en filigrane, as-tu lu le livre papier?  L'implantation du livre numérique dans ce milieu est en train de se faire petit à petit, mais selon les paramètres de cette culture, pas de celles du numérique.  On se prête des livres, on se passe les bonnes adresses des librairies et oui, on est réseauté sur Internet.  Mais la base culturelle est celle de l'objet de base, du livre et de ce qu'on peut en faire.  On part de là.  Le texte est le texte, le livre est le livre et on ne remet pas ça en question.  Et on est dans la durée.  Les livres de la rentrée littéraire de cette année seront encore lu dans un an, deux ans, dix parfois si le livre a passé la barrière du temps, ce qui n'est pas toujours le cas.  Ce sont les gens de cette culture qui vont faire dédicacer leurs livres dans les salons du livre, qui fréquentent les librairies et qui vont se rencontrer entre lecteurs, souvent via des forums de discussions ou même Facebook et twitter.  Ce ne sont pas des gens débranchés, mais ce sont des gens qui sont attachés à certaines choses, le livre papier en est un, mais il y a aussi un certain attachement à la lenteur, à une littérature qui peut prendre du temps à s'épanouir.  On ne cherche pas la satisfaction immédiate et on attend souvent la prochaine parution avec envie, on va aller la chercher en librairie et dans l'attente, dans le déplacement, dans le retour à la maison où on lira calmement assise dans notre coin lecture, il y a un plaisir qui vient avant même d'avoir ouvert la couverture. 

À l'autre extrémité, la culture du numérique est dématérialisé, on lit sur notre IPad, notre IPhone, notre liseuse ou notre ordinateur, aucun problème, le livre n'existe plus en tant que produit fini, on multiplie les possibilités sur lui.  On ne possède d'ailleurs même plus les fichiers physiques dans bien des cas, tout est dans le nuage d'Amazon ou de Google, le produit n'est plus notre possession, on y a simplement un accès, dans bien des cas à vie, mais tout de même, la possession n'est plus.  Un film, un livre, un jeu vidéo, aucune importance, les formes physiques n'existent plus, tout est sur internet, accessible immédiatement, consommable immédiatement aussi.  La rapidité et l'instantanéité sont des paramètres absolus de l'ère numérique.  Et il y aussi le réseautage en niche, très poussé.  De plus, le respect de la propriété intellectuelle n'existe pas comme dans la culture du papier, tout simplement parce que pour cette culture, le produit offert aux lecteurs n'est jamais complètement fini: on se l'approprie, on le détruit, on le reconstruit, on l'utilise, on le transforme.  C'est pourquoi la question des droits d'auteur y est si bizarrement interprétée par rapport à la culture papier: tout est tellement dans l'échange et le partage que le point de départ ne devient qu'une étape.  J'ai discuté récemment avec un des fiers représentants de cette culture et il m'a dit qu'il avait pris toutes les points identifiables d'un récit de voyage et en avait fait un album avec des prises de vues de Google Maps.  La fille de culture papier que je suis a momentanément crié au scandale intérieurement avant de s'avouer bien honnêtement que pour la culture numérique, ce n'est pas le moins du monde un scandale, mais une appropriation.  Et cette communauté, si active au quotidien dans le monde numérique se rencontre elle aussi en version humaine: ils en ont besoin et le font même avec plaisir.  On n'évacue pas la dimension humaine de cette culture, mais elle est vécu très différemment.

Alors, qu'est-ce qui arrive quand on plonge quelqu'un de la culture papier dans la culture numérique?  Exactement ce qui m'est arrivé lors de mon passage au BookCamp Montréal 2011: un sacré choc culturel!  Et c'était culturel, pas autre chose, ne cherchez pas dans les communautés ethniques de Montréal l'incompréhension et les chocs culturels, je l'ai vécu toute la journée avec des gens issu de la même culture de base, parlant la même langue et vivant sur le même territoire que moi!  On ne partait pas sur les mêmes prémisses, pas sur les mêmes bases.  Je ne dis pas que c'est positif ou négatif, pas le moins du monde, mais c'était différent.  Totalement et complètement différent.  Un clivage énorme entre mes bases, entre ma façon de voir le livre et les personnes présentes.  Elles ont tout mon respect par contre, c'est juste que comme je l'ai dit, on n'appartient pas à la même planète.  D'ailleurs, ma mémoire me rappelle beaucoup plus de discussions sur les supports, les acteurs du milieu du livre que sur la littérature et la passion du livre que les fervents du livre papier portent tous dans leurs trippes même s'ils discutent très sérieusement d'enjeux de la totalité de la chaîne du livre.  Je n'ai pas senti ça au BookCamp et c'est peut-être ça qui me fait le plus peur: la perte de cette culture qui vient avec le livre papier.  Elle ne se trouve pas dans le support ni dans les possibilités, elle existe déjà, elle est là, elle est active et elle est archi-vivante.  Si on numérise les livres, on fera juste un changement de support.  On ne changera pas la base de l'approche du texte.  On n'en changera pas la culture pour les gens de la culture du livre.  On changera juste le support.  Point important à comprendre pour les gens de culture numérique s'ils ne veulent pas rater le bateau en tentant de vendre le numérique aux autres lecteurs venant d'une autre planète qu'eux.

@+ Prospéryne

7 commentaires:

ClaudeL a dit…

Très bon billet, belle analyse. Que deviendront les Salons du livre dans la culture du livre du numérique? Je signe quoi, moi?

Le plus grand reproche que je pourrais faire au livre numérique, c'est qu'il ne se prête pas. Et les livres scolaires, eux?

Prospéryne a dit…

@ClaudeL, pour les livres scolaires, c'est différent, je trouve au contraire que c'est là que le numérique a le plus de potentiel, surtout les manuels en histoire qui sont périmés rapidement, on pourrait les mettre à jour chaque année tu imagines? Mais il y a toujours en moi une petite voix qui me fait penser à 1984, où Winston Smith passe son temps à réécrire le passé. Avec le numérique, c'est beaucoup plus facile qu'avec le papier parce qu'on peut effacer toute trace virtuelle du passé rapidement et facilement. Et ne t'inquiète pas, tu vas encore pouvoir en dédicacer des copies, ton livre arrive sur les tablettes à la fin du mois, le numérique n'aura pas encore tout balayé d'ici là!

Dominique Blondeau a dit…

salut Prospéryne,

tes deux articles sur les livres numériques m'ont intéressée parce que ce mois-ci je publie mon 19e livre (un roman) en numérique. Simplement pour voir et par curiosité. Je ne suis pas une ennemie du livre papier, loin de là mais je me dis qu'il faut goûter à tout pour se faire une idée de la chose. À suivre donc...

ClaudeL a dit…

À Prospéryne, mon éditeur me dit Prologue distribuera mon roman le 12 plutôt que le 26.

À Dominique: Félicitations. Moi, je ne suis pas une ennemie du numérique en autant que ni l'auteur, ni l'éditeur ni le lecteur n'y perde...

Prospéryne a dit…

@Dominique, je ne suis pas non plus une ennemie du numérique, loin s'en faut et je comprends que tu puisses vouloir publier en numérique. À vraie dire, ce que je trouve dommage, c'est qu'on essaie de vendre le livre numérique aux amateurs de livres comme un gadget techno pour livre et c'est là que l'on manque royalement la cible: les lecteurs veulent lire de bons livres, point barre. Pas besoin de parler techno pour ça, le livre numérique ne sera qu'une nouvelle façon de lire, c'est tout.

@ClaudeL, mais c'est la semaine prochaine ça! Tiens donc, je vais surveiller avec grand intérêt! :D

Dominique Blondeau a dit…

tu as raison, Prospéryne. On entend parler que de techno autour du livre numérique. Personne ne parle de la qualité du livre, ni même simplement de l'histoire, comme si de publier ainsi s'avérait un exploit. Pourtant, il faudra s'y faire...

ClaudeL, je souhaite beaucoup de succès à ton roman. C'est qui ton éditeur ?

Prospéryne a dit…

@Dominique, hé oui, on ne peut pas arrêter le progrès! Mais j'aime mieux ne pas avoir à penser à devoir m'y faire. Trop plate comme vision des choses.