vendredi 31 mai 2013

Laissez les passionnés vendre les livres

Salut!

Une chose étonnamment frustrante que l'on découvre quand on devient libraire est la relative indifférence qu'on le commun des mortels envers les livres et la littérature.  Certes, on le sait, on en a entendu parler, on le constate souvent dans nos conversations avec nos amis, mais le vivre, et pas juste une fois, c'est une toute autre expérience.  Se faire dire en pleine face par un client qu'il va aller l'acheter ailleurs parce que le livre y est moins cher, ça fait mal.  Parce que c'est dire que la principale valeur que l'on relit au livre est sa valeur économique.  Ok, moi aussi, je surveille les spéciaux.  J'ai un budget.  Et je suis consciente que ce n'est pas tout le monde qui peut se permettre d'acheter des tonnes de livres chaque année.  Mais se détourner d'un commerce, uniquement à cause du prix et aller vers un autre où il est de notoriété publique que ce n'est pas la qualité qui prime, ça me pue au nez.

Pourquoi?  Parce que je considère que ces gens n'aiment pas lire?  Absolument pas!  Bien au contraire, je connais de très grands lecteurs qui achètent leurs livres dans les grandes surfaces.  Ils ne pourraient se le permettre autrement.  Je respecte.  Je suis déçue, mais je respecte.  De toutes façons, bien souvent, ces lecteurs vont venir faire leur tour en librairie parce que le choix est limité là où les prix sont coupés.

Non, ce qui me fait le plus mal, ce sont les étalages sans âmes, les empilements, les tables débordantes de livres plus ou moins abîmés, parqués là avec une étiquette annonçant leur prix coupé comme principal argument de vente!  Bien au-delà du prix, ce qui me fait mal, c'est de voir les livres vendus comme des boîtes de conserve.  Ils sont vendus vides, sans âmes.  Qui a pris la peine de les lire?  Qui peut vous en parler?  Qui peut transmettre sa passion pour eux dans ce genre d'endroits?  La plupart du temps, ils sont à peine classé par maisons d'éditions (un oeil averti reconnaît le classement par distributeur)!  Et les genres?  Et les auteurs?  Peuh, on s'en fou pas mal.  Tant que ça vend...

Des livres, il y en a, mais il y a quoi?  Des auteurs de production en série majoritairement, des auteurs québécois, parfois, mais uniquement après leur entrée dans le palmarès des meilleures ventes.  Des séries à succès.  Pas grand chose d'autre.  Pour ne pas dire rien.  Malheureusement.  Où est le choix?  Où est la passion du livre, la passion de la littérature, le goût de lire?  C'est mort, c'est vide.  Il n'y a rien là.  Rien du tout.  On vend peut-être le livre moins cher, mais on le vend sans ce qu'il a de plus précieux, son âme.

Bordel même en grande surface, le boulot de vendre des livres, c'est à une personne qui connaît les livres qu'il faut la confier.  J'ai entendu parler qu'en France, suite à la loi Lang, les grandes surfaces avaient développées des sections livres dignes de ce nom pour rester à la hauteur contre les librairies et autres enseignes culturelles.  Elles se sont adaptés.  Ça n'a pas résolu les problèmes de la chaîne du livre, mais ça a assuré au consommateur un service de qualité raisonnable, peu importe l'endroit.  Pourquoi ne pas imaginer une telle chose ici?  Pourquoi?

Le pire tort que l'on fait à la littérature, ce n'est pas de la vendre à rabais.  C'est de la vider de sa substance, de son âme.  Et ça, on peut retrouver ce phénomène partout quand on finit de voir l'objet-livre (qu'il soit numérique ou papier) comme étant un objet de passion et qu'on commence à le voir comme un banal objet de consommation.  La tendance est vers ça?  Foutaise.  Ce sont plutôt les passionnés que l'industrie ignore de plus en plus.  On commence par vendre de bons livres en grande surface et petit à petit, on fait en sorte que le chiffre de vente soit le seul chiffre important.  On se met à vendre de mauvais livres en librairies ensuite, parce que ça vend.

En tuant ses plus ardents défenseurs et souteneurs, l'industrie du livre se tire dans le pied.  À force, les fidèles se détournent de la lecture.  Parce qu'ils ne savent plus où trouver des livres passionnant à se mettre sous la dent.  Tout simplement.

@+ Mariane

4 commentaires:

Frédérick a dit…

On peut ajouter à cela que souvent, ces livres bradés sont des pilonnages d'éditeurs qui ne donnent aucun pourcentage des ventes à l'auteur. Ce dernier n'est donc pas rétribué pour son travail.

Prospéryne a dit…

@Frédérick, c'est encore pire donc!

ClaudeL a dit…

Cette semaine, j'étais chez Costco (pourquoi ne pas le nommer), une dame m'apostrophe (si, si carrément, pourtant elle doit savoir que je ne suis pas un commis, y en a pas chez Costco et elle ne sait pas bien sûr que je suis une auteure)et me demande: "L'avez-vous lu" en me montrant je ne sais plus quel livre que je ne connaissais pas du tout. Devant mon "non" bref parce que surprise, elle a passé à la dame suivante, en ajoutant "c'est-tu bon?"
Pourquoi je n'ai pas eu le réflexe de lui dire "Madame, si vous voulez avoir un avis sur ce livre, allez dans une librairie"? J'aurais dû. Trop surprise.

Moi aussi pendant des années, pour n'importe quel objet de consommation, j'y allais avec le prix, mais maintenant d'autres critères entrent en jeu,, dont le premier: quels services ai-je pour tel prix? Si j'ai la livraison, si je peux faire réparer pas trop loin de chez moi, si j'ai l'installation.

Prospéryne a dit…

@ClaudeL, pauvre dame... Je crois que je lui aurais mis sous le nez mon statut de libraire! Mais bon, on dirait que les gens ne savent plus ce que veut dire le service, qu'il a une valeur et que ça veut souvent la peine de payer un petit peu plus pour celui-ci. Et aussi que le prix d'un article peut ne pas être le seul critère pour choisir d'acheter à tel ou tel endroit!