La chanson d'Arbonne Guy Gavriel Kay Flammarion/ XYZ 562 pages
Résumé:
Blaise de Gorhaut est un coran, un mercenaire qui vend ses services au plus offrant. Anonyme, il a quitté sa partie et depuis parcours les six pays. En Arbonne, il découvre des coutumes qui le dépasse: dans ce pays, l'amour est chanté et célébré, les femmes ne sont pas soumises aux hommes et c'est même l'une d'entre elle qui détient le pouvoir! Habitué à voir ce pays comme peuplé d'hommes faibles, il devra remettre en question tous ses préjugés, car, sans qu'il le sache encore, l'Arbonne mettra sur son chemin un avenir qu'il n'aurait jamais pu soupçonner.
Mon avis:
L'écriture de Kay est... féminine. Je dis ça parce qu'il accorde une grande importance aux nuances dans les émotions de ses personnages. Aucun d'entre eux ne peut être perçu comme un héros parfait. Ils ont tous leurs faiblesses, leurs failles, mais elles sont d'une certaine façon que j'aurais plus vu sous la plume d'une auteure féminine que d'un auteur masculin. Si la virilité n'est pas absente, le pouvoir de la Cour d'amour et des troubadours donne un aspect différent à l'expression de celle-ci. C'est moins abrupt, plus raffiné, plus subtil. D'ailleurs, le livre au complet m'a laissé une impression de légère différence. L'histoire suit les grandes lignes des récits épiques, mais en même temps, elle le fait d'une façon qui laisse beaucoup de place à la féminité. Les personnages féminins, même s'ils ne combattent pas, sont d'ailleurs très puissants, nuancés, vrais: Cygne, Ariane, Rosala, Béatrice, Lisseult. Face à elles, les hommes sont tout aussi riches, plein de subtilités. La psychologie des personnages est très belle, bien décrite, jamais simpliste. Même celle du père de Blaise, personnage manichéen à l'extrême est bien développée et on le comprend, sans pouvoir l'approuver bien sûr. J'ai trouvé étrange que le contexte, où les femmes semblent jouir de tant de droits, reste très proche de celui-ci du Moyen Âge (période d'inspiration de l'auteur pour ce livre) sur la question des mariages arrangés. Ariane s'en plaint à un moment, mais pour le reste, ça semble normal pour tout le monde! Une petite faille dans la cohérence du récit. Pour le reste, la façon dont il déploie son univers est vraiment très belle, empreinte de la poésie de ces troubadours qu'il met à l'honneur. Il y a juste assez de chants pour mettre dans l'ambiance, mais pas trop. Tant mieux pour ceux qui comme moi ne trippent pas sur la poésie! Cela reste un récit médiéval, mais pas vraiment fantastique, le surnaturel n'y prenant au final que très peu de place. Juste quelques petites touches. Cela rend ce roman difficile à classer dans un genre en particulier. Je reste avec une drôle d'impression avec ce roman. C'est bon, mais en même temps, ça ne m'a pas transporté outre mesure, ce qui est étrange vu le sujet traité. Avec les récits épiques, on s'attend normalement à plus de montée en puissance à certains moments! Pas vraiment le cas ici. Cependant, c'est un roman intéressant car il nous fait glisser à la limite des codes des genres et nous donne l'occasion de voir ainsi les coutures de celui-ci en les remettant en question. À lire pour remettre en question nos certitudes littéraires!
Ma note: 3.75/5
6 commentaires:
Pour éclairer ta lanterne au sujet de ce que tu ressens comme une incohérence... À l'époque dont Kay s'inspire, les mariages étaient toujours arrangés. Cependant, il était devenu de plus en plus fréquents pour certaines femmes et hommes d'entretenir des rapports sentimentaux (normalement platoniques) en dehors des liens du mariage (c'est ce qu'on appelait "l'amour courtois" et il n'était même pas toujours motivé par un véritable amour, c'était surtout un jeu de flatteries, de compliments et de cadeaux entre la dame et son servant). Je suppose que ça aidait à supporter les devoirs conjugaux.
Kay, dans une Chanson pour Arbonne, pousse le principe plus loin et fait de l'amour courtois un amour réel, consommé dans une clandestinité plus ou moins grande. Le mariage est donc un truc politique, complètement séparé de l'amour. Quand on connaît son inspiration, ça s'explique de soi-même, mais c'est vrai qu'il ne s'étend pas sur le sujet.
Personnellement, je crois que c'est mon roman de Kay préféré. Justement parce qu'il est toujours un peu étrange, juste assez autre, juste un peu décalé. Tandis que ses autres romans sont souvent plus fantastiques et... bof, il est pas toujours super bon en fantastique franc.
Oh, pour le style d'écriture presque féminin... Je vois dans ce roman un hommage à la série "Les dames du Lac" de Marion Zimmer Bradley, un récit du cycle arthurien, raconté par les yeux des femmes (surtout de Morgane la Fée).
Justement, tu mets le doigt précisément sur ce qui m'a chicoté à la lecture Gen: il met en place une société ou l'amour courtois a dépassé le stade platonique, où les femmes ont une grande importance, même politique et pourtant, il reste que les mariages sont plus semblables à ceux de la période historique dont il s'est inspiré! L'évolution semble avoir été faite pour certaines sphères seulement. C'est ce qui m'a fait tilté. D'autant plus qu'il y a des questions d'héritage tout de même non? Quoique la question semblent être moins rigide dans le monde de Kay.
Pour ce qui est de l'hommage aux Dames du Lac de Marion Zimmer Bradley... pour l'avoir lu (il y a certes longtemps!), il va encore plus loin. Les personnages ont une fragilité et une sensibilité qui dépasse de loin les personnages de Zimmer Bradley qui sont beaucoup plus manichéens. Le roman de Kay est plus profond. Je comprends que tu l'aies aimé, je reste un brin dubitative, mais il est clair qu'il sort des normes et je l'ai apprécié sur ce point.
J'ai toujours vu dans ce roman une explication de pourquoi, justement, l'amour courtois réel était platonique (on s'entend que l'amour courtois consommé et ses conséquences est au cœur de l'histoire). Un peu comme si Kay avait voulu l'expliquer à des étudiants d'histoire... mais tu as raison, d'un point de vue cohérence du récit, ça grince sans doute.
Kay écrit de façon plus moderne (et donc psychologiquement plus fouillée) que Bradley, c'est sûr, mais l'importance qu'il donne aux femmes non combattantes m'évoque invariablement Bradley.
Cela dit, c'est vrai que c'est un roman étrange.
Hum, quand tu parles de femmes non combattantes, tu mets le doigt sur un point important: contrairement à Bradley, Kay met en vedette des personnages féminins (et masculins) qui ne vivent pas pour le combat. Chez Bradley, tout le monde lutte pour quelque chose: Arthur, Morgane, Merlin, tout le monde se bat pour quelque chose. Alors que les personnages de Kay ne cherchent pas spécialement la guerre, même s'ils sont des combattants. En partant, ça crée une sacrée différence dans la psyché des personnages. Blaise par exemple, voulait apprendre à se battre, mais ça n'en fait pas un guerrier de type agresseur pour autant. Rosala, autre très bon exemple, ne souhaite pas le combat et se retrouve jetée dans la mêlée. Hum, tu me fais réfléchir!
Bien content que tu te sois plongée dans la superbe prose de Kay. Mais contrairement à Gen, j'en demeure actuellement à la mosaïque sarantine. Pour moi, c'est le meilleur que j'ai lu de lui.
Je n'ai pas encore lu la Mosaïque, mais bon, il y a encore beaucoup de Kay que je n'ai pas lu...
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