Salut!
Je m'en rappelle comme si c'était hier. J'étais à mon tout premier Boréal, à mon tout premier atelier à vie. C'était en 2011. J'étais à cet atelier parce que parmi les panélistes, il y avait une écrivaine dont j'avais tellement aimé les livres que je lui vouais intérieurement un mini-culte et que je n'arrivais pas à croire que j'étais dans la même pièce qu'elle: Élisabeth Vonarburg. Le sujet de l'atelier? La fantasy au Québec après Harry Potter. Au bout de quelques minutes, j'ai regardé autour de moi en me demandant pourquoi personne ne réagissait à ses propos que je trouvais plutôt... tranchants. Je sais aujourd'hui pourquoi personne n'a réagit, mais je me rappelle aussi des propos d'Élisabeth: si la vague Potter avait suscité un énorme enthousiasme dans le milieu, on dirait qu'elle a passé par-dessus la tête du milieu de la SFFQ sans attirer les lecteurs qui avaient pourtant trippé sur les aventures d'Harry, Ron et Hermione.
C'est l'une des façons dont se répand les genres dans la population: un livre peut faire le pont entre la littérature générale et la littérature de niche permettre aux lecteurs de ruisseler naturellement vers ce genre, d'entrer en contact avec lui et de le découvrir. Ça s'est déjà vu, entre autre avec le roman policier et le roman d'horreur. Des auteurs plus accessibles servent de porte d'entrée avec le genre, qui est ensuite exploré plus largement.
Mais ce ne sont pas tous les succès qui permettent ce genre de transfert. Loin de là. Découvrir Harry Potter n'a pas emmené des hordes de lecteurs vers les récits de fantastique, le Seigneur des Anneaux n'a pas entraîner les dévoreurs de livres vers d'autres séries du genre et les Hunger Games de ce monde n'y ont pas plus réussi. Pourquoi donc?
J'y vois trois grandes raisons: ben, de un, souvent l'oeuvre grand public se démarque de beaucoup de ce qui se fait déjà dans le genre. Harry Potter a rebrassé certains concepts et pour un lecteur qui n'y connaissait rien, ça sonnait nouveau. Donc, c'était facile pour un lecteur néophyte de se dire qu'il lisait un livre révolutionnaire... même si un lecteur du genre pouvait y voir plein de liens avec des autres précédentes, possiblement même les inspirations de l'auteure. L'aspect «nouveau» de certaines oeuvres les rend plus facile à accepter pour le grand public. Car après tout, on ne lit pas une oeuvre de genre hein, on lit quelque chose qui vient d'être inventé!
De deux, aussitôt qu'une oeuvre a du succès, les maisons d'éditions se dépêchent d'inonder le marché de clones plus ou moins réussi. Après Fascination, combien d'histoires de vampires aie-je vu débouler sur les tablettes de ma librairies. Ça en était au point ou entre libraires, on se lançait un regard entendu dès qu'une quatrième de couverture mentionnait le mot vampire. Peu de chance alors de se rendre jusqu'au corpus. Au contraire, on dilue l'effet d'entraînement de la nouveauté qui pourrait ruisseler vers d'autres oeuvres en la gardant bien captive de livres publiés dans la foulée. Quelle dommage pour d'autres livres qui le mériteraient pourtant tellement!
De trois et bien... Beaucoup de gens lisent ce qui est à la mode et uniquement ce qui est à la mode. Alors, si la vague part dans une direction, ils vont lire l'oeuvre en question et en rester là, jusqu'à l'arrivée de la prochaine vague qui les emmènera vers d'autres lectures, parfois en lien, parfois pas du tout. C'est alors très dur de créer le lien nécessaire entre le genre et l'oeuvre porteuse, parce que justement, l'oeuvre porteuse crée sa propre niche qui une fois remplie coule ailleurs que de là où elle a jaillit.
Alors la théorie du ruissellement? Jusqu'à un certain point, ça marche. Mais à quel point il faut avoir des attentes quand une oeuvre d'un genre particulier résonne dans le grand public? Je crois qu'il faut avoir des attentes très réalistes: non, une oeuvre populaire, adaptée au cinéma, lu par des dizaines de milliers de lecteurs ne transformera un genre précis en littérature grand public en quelques années. Ça peut, mais ce n'est pas une courroie de transmission automatique.
Je crois que les oeuvres de moyenne portée sont plus efficace pour faire ce transfert. Elles bénéficient moins d'un effet de mode et sont moins entourées d'un aura qui les mets à distance des autres oeuvres proches. J'ai vu certaines séries plus marginales avoir un effet d'entraînement considérable à comparer à certaines séries ultra-populaire. Parce qu'elles étaient moins intimidantes. Parce qu'elle se laissaient découvrir plus qu'elle s'imposaient. Et comme les lecteurs découvraient des pépites, ils voulaient en découvrir d'autres. Le bruit de fond de l'oeuvre populaire n'était pas présent pour leur nuire dans leurs recherches. Il n'y avait pas de bandeau de Harry Potter sur d'autres oeuvres pour les attirer, ils ont fait leurs propres recherches et ont trouvé.
C'est ce que je crois qui manque le plus aux oeuvres ultra-populaires de genre, l'absence de recherche. Quel que soit la qualité de l'oeuvre, elle devient un tout cuit dans la bouche. Ça ne pousse pas à chercher autre chose. Et comme les lecteurs ne cherchent pas, ils manquent des univers entiers qui auraient pu leur plaire.
@+ Mariane
2 commentaires:
Attention : l'absence de ruissellement, c'est relativement nouveau. Dans mon temps, si tu lisais Dragon Lance, tu finissais par aller lire le Seigneur des Anneaux, parce que l'offre n'était pas si vaste, peu importe le genre. Maintenant, comme tu le soulignes, chaque succès génère des imitations qui inondent le marché.
En fait, la littérature a juste mis du temps à être rattrapées par les mécanismes du capitalisme, qui font que le ruissellement (fut-il de lecteurs ou de richesses), ça marche au tout début, puis ça s'enraye.
Effectivement, à une autre époque, l'offre réduite rendait le ruissellement plus facile. Aujourd'hui, elle est récupérée avant même d'avoir eu la chance de se répandre. Comme pour la richesse...
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