Salut!
Récemment, j'ai vu et entendu beaucoup de débats sur la parité, sur l'inclusion, sur les minorités. Souvent, les tenants de l'inclusion sortent les statistiques et les calculatrices pour expliquer que le problème n'est pas toujours au fil d'arrivée, mais bien à la ligne de départ: s'il y a moins de candidates aux élections, c'est un peu normal qu'il y ait moins de députées au parlement. S'il y a moins d'étudiantes en science, c'est normal qu'il y aie moins de professeures dans le domaine. On pourrait multiplier les exemples. Je pourrais aussi reprendre les mêmes en changeant le terme femme par membre des minorités visibles ou sexuelles. Le problème est souvent à la base.
Dans le domaine des arts, c'est un peu la même chose. On remarque que les femmes et les membres des minorités ont moins de rôles ou des rôles moins importants dans les séries télé et les films. On remarque que les chances d'une réalisatrice de porter son projet à l'écran sont moindres. On remarque que les scénaristes féminines sont moins nombreuses au générique. Sauf que dans le domaine des arts, le problème n'est pas vraiment à la base: on se bouscule souvent au portillon pour entrer.
Comment on le sait? Parce que les gens ont des calculatrices et des statistiques pour le prouver! Sauf que là, on en vient à un total oxymore: l'art et les calculs, c'est deux trucs complètement séparés! Ça ne marche pas ensemble! On peut pas créer une oeuvre d'art avec des calculs, avec des règles, avec des exigences comme ça! Si vous penser vraiment ceci, je vous invite à jeter un coup d'oeil à ceci ou encore à cela. Ou encore à penser aux nombreux artistes peintres de la Renaissance comme Léonard de Vinci qui ont cherché la perfection à travers de savants calculs. Son homme de Vitruve en est un exemple. Oui, mais ça, c'est dans l'art visuel, c'est pas la même chose, dans la littérature! Hum, hum... Vous avez déjà lu des sonnets quelqu'un? Si non, je persiste à croire que vous pensez que les gens qui en écrivaient ne savaient pas compter... J'ose aussi croire que vous n'avez jamais entendu parler du mouvement Oulipo qui faisait des contraintes dans l'art une de leurs motivations et faisaient travailler côte à côte littéraire et mathématicien... Je pourrais multiplier les exemples dans tous les domaines des arts, mais je crois que le coeur du problème, ce n'est pas nécessairement les maths et les arts. C'est sur quoi porte des calculs qui semblent bien davantage causer problème.
Parce que si on expose un malaise, mais qu'il n'est pas chiffré, ça reste un malaise. Ça reste une impression, ça reste quelque chose de subjectif. Et c'est dur de se battre sur quelque chose de subjectif. Parce que cela peut énormément varier selon les personnes, ce qui est le propre de toutes les choses qui sont subjectives. Quand on sort les calculatrices et les statistiques, on sort de la subjection pour montrer que celle-ci n'est pas basé sur rien et que oui, c'est vrai. Et ça, honnêtement, ça peut faire très très mal. Mal aux personnes qui n'ont pas de problèmes avec la situation, mal avec ceux qui la trouvent normales et qui y trouve leur compte. Mal parce que de mettre des chiffres sur un problème, au-delà des belles paroles, ça pousse les gens à faire quelque chose de très inconfortable, voir de confrontant: se remettre en question.
Depuis quelques années fleurissent sur Internet une pléthore de tests visant justement à mettre des chiffres et des mots sur ces exemples. Le plus populaire reste sans conteste le test de Bechdel. Si vous ne le connaissez pas, le voici en version simple: l'oeuvre doit contenir deux personnages féminins qui ont un nom, qui doivent se parler au moins une fois et d'autre chose que d'un homme. Ce test, comme tous les tests qui existent pour parler de sous-représentation des femmes, des minorités ou d'autres formes de sous-représentations sont bien évidemment imparfaits. Il suffirait de mettre deux infirmières qui se demandent dans quel sens va le bateau dans un film de guerre pour passer le test... Mais il permet de pointer du doigt certains faits qui peuvent être malaisant à constater. J'ai adoré le film The King's speech. C'est un excellent film. J'ai compté cinq autres personnages féminins nommés dedans (Élizabeth la Duchesse d'York, les petites Élizabeth et Margaret, Myrtler Logue et Wallis Simpson), mais j'ai dû chercher pour être capable de trouver une réplique qui lui permet de passer le test. J'ai fini par trouver, mais c'est surprenant de voir à quel point le film accorde peu d'espace à ses personnages féminins, malgré la place importante réservée à Helena Bonham Carter. À part quelques brèves scènes, tout au long du film, elle ne parle qu'à des hommes. Maintenant, je vais essayer de trouver un seul film ou une seule oeuvre littéraire grand public qui ne met pas en scène deux personnages masculins qui ont un prénom et qui parle d'autres choses que des femmes ne serait-ce que brièvement... Ok, attendez un peu, je vais chercher...
L'aurais-je remarqué sans le Test Bechdel? Sans doute non. Certes, quand on a un instrument pour mesurer, soudain, beaucoup de choses qui était invisible deviennent visibles. Et soudain, on ne peut plus faire comme si ça n'existait pas, on ne peut plus les ignorer bêtement comme si c'était juste une perception. On a des faits. Les faits sont toujours plus difficile à balayer du revers de la main que les perceptions parce qu'ils ne sont pas subjectifs, mais bien objectifs. Avec les faits suivent pas très loin les remises en question et là, on entre dans un domaine qui peut être source de beaucoup, beaucoup d'inconfort. En premier lieu pour les personnes qui ne sont pas concernées directement par le problème ou qui bénéficient de la situation actuelle. Dans ce cas, il est plus facile de dénoncer les torts du test ou le messager que la situation qui est à l'origine du test ou de la parole du messager...
J'ai récemment vu passer beaucoup de commentaires sur le sujet. On ne peut pas renvoyer l'art à des calculs! On ne peut pas obliger les créateurs à faire des pièces en utilisant des grilles pour avoir le bon nombre de femmes, de minorités visibles et sexuelles, de ci ou de ça. Les détracteurs refusent tout net! On parle de détruire l'art comme si c'était quelque chose que l'on peut détruire si facilement ou encore de voir celle-ci réduite à de la peinture à numéro! (J'avoue que celle-là je l'ai trouvé drôle!). Quand j'entends ce genre de plaintes, je ne peux m'empêcher de penser aux innombrables contraintes qui pèsent sur l'art. Est-ce que l'inclusion est pire que les demandes d'une maison d'édition face aux textes d'un auteur qui débute, d'une maison de production face à un scénario, des contraintes de temps et d'espace d'un film, sans parler du sempiternel budget? Les gens râlent mais ne disant pas que c'est en train de réduire l'art à de la peinture à numéro... Ce merveilleux billet de Fanny Britt résume d'ailleurs mieux que je ne le peux mon opinion sur le sujet.
De un, l'art, justement parce que c'est de l'art, ne sera jamais parfait, ni parfaitement représentatif, ni parfaitement inclusif, ni parfaitement misogyne ou raciste ou homo/transphobe. C'est justement le propre de l'art d'être au-delà de tout ça. Mais l'art part des artistes et c'est justement ça qui est visé: en parlant des problèmes de représentation, on veut faire réfléchir les artistes. S'ils ne veulent rien savoir et bien... qu'ils n'en fassent rien! Le hic, c'est que plus de gens réfléchissent, plus de gens sont sensibles et plus de gens risquent de voir ce manque d'inclusion. Parce que les normes sociales sont en constantes évolutions et peu importe ce que certains en disent ou en pensent, l'art est quelque chose qui se bâtit dans un contexte socio-culturel précis. Toujours.
De deux, aucun créateur, je dis bien aucun, n'a envie de créer avec un cahier de charge inclusif à côté de son clavier. Mais de se remettre en question, de se demander pourquoi tel ou tel personnage est un homme, pourquoi? Pourquoi est-ce que je n'ai aucun personnage gay ou trans, ou déficient intellectuel dans mon histoire? Si ce n'est pas nécessaire, on peut sauter, mais sans ça, pourquoi j'ai le réflexe de mettre un homme blanc hétéro dans ce rôle de façon presque automatique? Certains artistes refuseront tout net les compromissions. D'autres y verront une nouvelle manière d'aborder leur art et un milliers de portes ouvertes devant eux. Ça dépend de chaque personne, de sa vision de l'art et de son rapport avec la création. Si la vague est si forte dans le sens de l'inclusion aujourd'hui, c'est peut-être parce qu'elle a poussé dans un autre sens pendant longtemps: les ressacs font partie du principe des vagues...
Je n'ai pas trop de craintes face aux gens qui disent que l'on ne pourra plus créer parce qu'il va falloir tout calculer comme représentation. Les chances qu'on arrive là sont très faibles. La seule chose qui m'effraie dans cette vision, c'est qu'un jour, le fait de remplir toutes les petites cases deviennent LE critère qui permettra de juger de la qualité d'une oeuvre. Je doute qu'on en arrive là un jour, mais alors et seulement, alors, on pourra dire que l'on a dépassé les bornes. En attendant, laissons un peu de place à l'inclusion et à la diversité. Après tout, c'est en repoussant les limites du connus que l'art a toujours grandi.
@+ Mariane
2 commentaires:
J'applaudis, évidemment, puisque ça rejoint mes réflexions sur le sujet (d'ailleurs, y'aura une table ronde samedi au salon du livre de Sherbrooke pour en parler). J'aime surtout que tu soulignes que ces tests et grilles sont des outils. Tu l'as vu de première main : s'interroger sur ses réflexes créatifs, c'est sain. Et, parfois, échouer le test est tout à fait justifié! (Comme dans la plupart des films historiques, malheureusement)
Oui, j'ai constaté de première main que s'interroger sur ses réflexes créatifs est sain, merci Senpaï! :D
Par contre, je me dis que côté diversité, j'ai du intégrer certains réflexes très vite parce que j'ai essayé d'imaginer pour le plaisir une nouvelle masculine/blanche/hétéro et que j'ai vraiment séché un peu...
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