lundi 2 juillet 2018

Principal de l'un, secondaire de l'autre

Salut!

J'ai remarqué que certains auteurs utilisent une technique bien particulière pour nourrir leurs oeuvres.  Phénomène largement influencé par les suites et re-suite et autres spin-off parfois insipide du cinéma, mais pas que.  C'est celui des personnages qui se retrouvent parfois au coeur de l'histoire... et qui laissent la première place à un autre personnage lors d'un autre livre.  Personnellement, j'adore ce procédé dans les livres.  Mais il peut être utilisé à tellement de sauces!  C'est qu'en tant que tel, c'est un procédé qui permet d'élargir l'exploration d'un univers de bien des façons.  Certains en abusent pour allonger les profits, mais c'est une mauvaise utilisation: en tant que tel, cela peut enrichir un univers bien plus qu'il n'y paraît.

Je l'avais remarqué en particulier dans le livre de Robert Silverberg, Les Monades urbaines.  Dans ce roman formé de nouvelles, tous les personnages principaux d'une nouvelle deviennent personnage secondaire dans l'une ou l'autre des suivantes, aucun n'étant à proprement parler un personnage principal de l'ensemble.  Cette situation est sûrement voulue par l'auteur qui parle sans cesse du vertige de cette société qui vit dans d'immenses tours de mille étages, chaque monade (tour) formant  des sociétés indépendantes les unes des autres.  En utilisant ce procédé, l'auteur permet de démultiplier les points de vue, mais aussi de reprendre l'idée centrale de son livre: l'individu écrasé par la masse des autres êtres vivants et de la structure physique même de la monade.  Silverberg a utilisé cet effet littéraire pour démultiplier l'effet du nombre, car ce qui concerne un individu concerne tous les habitants de la monade, tous prisonniers d'elles et pourtant, la nourrissant.  Chacun des personnages qui sont à la fois secondaires et principaux montrent l'impact de la monade sur eux: ce qu'un personnage remarque, un autre le verra aussi, mais autrement, mais les deux perceptions se complètent dans ce qu'est une monade et le fait d'y vivre.  C'est l'effet choral entre les différents personnages qui donnent l'effet voulu par l'auteur.

Dans les univers de Tolkien, les personnages d'un roman, comme par exemple, Bilbon Sacquet dans Bilbon le hobbit, deviennent les secondaires dans un autre roman, comme par exemple, dans la suite du Seigneur des anneaux.  Dans ce cas-ci, le personnage sert à alimenter une suite d'histoire qui se déroulent dans le temps.  Un personnage apparaît, prend place dans l'histoire a un impact sur l'intrigue qui va venir de par ses actions.  Bilbon quitte la Comté et vit de multiples aventures, devenant au passage porteur d'un mystérieux anneau, ce qui aura d'énormes impacts sur la vie de son neveu Frodon.  Et cela, sans que l'histoire même de Bilbon le hobbit portent des traces de ce qui allait arriver ensuite.  Un peu comme dans l'Histoire, celle avec un grand H qui nous concerne tous.  Et ainsi de suite sur ce qui peut s'étirer pendant longtemps.  Tolkien n'a-t-il pas écrit des dizaines de nouvelles, de romans et autres histoires se déroulant en Terre du milieu?  Il a donc utilisé des personnages principaux devenus secondaires pour montrer la continuité, la transmission, la suite entre les différentes histoires qu'il a écrit.  Sans compter qu'à quelques reprises, ses personnages font allusions à de lointains événements qui ont un impact sur eux... et qu'il a longuement raconté dans d'autres livres.  Un peu comme nous faisons allusion aux événements survenus au temps de nos aïeux.

Une autre façon d'utiliser le concept est celui que j'ai remarqué dans les romans de Mercedes Lackey.  Cette auteure a élaboré un univers aussi vaste que celui de Tolkien, mais dans un laps de temps considérablement plus court.  Dans la première trilogie, le personnage principal est Talia, héraut de la Reine.  Elle est entourée de nombreux personnages, dont la fille de la Reine, la princesse Elspeth.  Dans la seconde trilogie, le personnage principal est devenu Elspeth, mais Talia ne disparaît pas pour autant du portrait.  Son rôle est simplement beaucoup plus effacé, moins à l'avant-plan, mais le personnage est tout de même présent.  Idem dans la troisième série du cycle, où Elspeth elle-même est un personnage secondaire, mais où de nouveaux personnages sont à l'avant-plan, tout en lui laissant une place dans l'intrigue, de même qu'à Talia.  Vous me suivez?  Ici, c'est plus une course à relais qui est mis en place.  Chaque personnage a son moment sous les projecteurs et reste ensuite un personnage essentiel de l'histoire, mais en perdant le premier rôle.  Ainsi, tous les personnages, chacun à leur tour, deviennent principal, puis retournent secondaire.  Enfin, pas tous, mais la plupart.  Ainsi, si on a aimé le personnage de Talia, on pourra suivre son développement au fil des trilogies, même si elle n'est plus au centre de nos intérêts.  Par ce principe de relais, l'auteure crée un lien émotionnel fort au fil des histoires, mais par la bande, prépare à chaque tome la trilogie suivante.     

C'est un effet littéraire que de multiplier ainsi les personnages dans un même cycle, de leur permettre d'avoir la première place au soleil et une autre, un peu plus à l'ombre.  Cela nous permet de voir une histoire différemment, à travers les yeux de plusieurs personnes qui nous la racontent.  Comme dans la vraie vie, il n'y a jamais qu'une seule vision des événements.

@+ Mariane

6 commentaires:

Alain a dit…

Quand un auteur peut utiliser une telle approche, cela est le signe d'une construction d'univers riche.

On peut parfois sentir dans certaines œuvres que le personnage principal porte le poids de tout son univers sur les épaules. Il ne se passe jamais rien d'intéressant sans qu'il ne soit présent dans la pièce. Généralement, les autres personnages possèdent la profondeur de papier journal, et aucun ne pourrait supporter son propre récit.

(Le seul exemple qui me vient en tête présentement: la série de films Mission Impossible. Cette série est tellement un véhicule pour Tom Cruise, il ne faut jamais qu'aucun autre acteur ne lui porte le moindre ombrage.)

Cela dit, j'ai aussi connu quelques séries qui ont abusé de ce procédé. C'est la raison pour laquelle j'ai décroché de la série "Skolian Empire" de Catherine Asaro. La série repose sur une famille nombreuse dont plusieurs membres sont des guerriers surhumains ou des leaders remarquables. Mais quand on finit par suivre le frère cadet qui veut devenir vedette rock... non, juste non.

Prospéryne a dit…

Je prends bonne note de ne pas m'intéresser à cette série!

Quand à Mission impossible, que dire... Tous les films de Tom Cruise sont faits comme ça, pas juste cette franchise? C'est le genre d'acteur qui a assez d'argent et de popularité pour se le permettre. Ce qui n'est pas nécessairement un atout pour ses films.

Gen a dit…

C'est le genre de procédé que j'adore, lorsqu'il est bien fait! (Parce que ouais, des fois, c'est clairement juste pour étirer la sauce). Je crois que ça reflète aussi le fait que, dans nos vies, on a des moments forts et des moments calmes. Nos moments forts pourraient faire des bons romans. Dans nos moments calmes... peut-être sommes-nous des personnages secondaires de la vie d'un autre dont le roman est en train de s'écrire?

(Tu auras deviné que je rêve d'écrire des histoires dans ce genre. Ou au moins une série de nouvelles. Je trippe sur toutes les narrations chorales, mais bonyenne que c'est dur à faire!!!)

À noter : Élisabeth Vonarburg, avec le Silence de la Cité et les Chroniques du Pays des Mères, joue au même jeu : les événements du Silence deviennent les légendes des Chroniques. À cela s'ajoute un dada d'Élisabeth : le temps qui déforme les choses. C'est juste... magnifique!

Prospéryne a dit…

Je n'ai pas lu Le Silence de la cité (sifflements!), mais j'ai lu Chroniques du pays des mères et sachant que l'autre livre existait, j'ai deviné le lien. Oui, ça demande du talent, mais ça permet aussi de créer des univers riches, parce que comme dirait Alain, aucun personnage ne peut se permettre à ce moment-là d'être en carton-pâte! Je te souhaite de le réussir un jour!

Gen a dit…

La difficulté ne réside pas juste dans la profondeur des personnages et de l'arrière-monde, mais dans la cohérence de la chronologie. Quand on fait (comme Lackley) une génération, puis l'autre, puis l'autre, c'est pas si mal, mais si on essaie d'imbriquer le tout, maux de tête garantis! (Et faut aussi essayer d'éviter les redites... pfiou!)

Prospéryne a dit…

Je vois où tu veux en venir au niveau de la difficulté!