Salut!
Lors du dernier Congrès Boréal, les participants d'un panel (je ne vous dirais pas lequel, ceux qui y assistaient se reconnaîtront) ont assisté à une mini-prise de bec entre un auteur et un éditeur connu sur un sujet bien précis: la littérature populaire et les gens qui la consomment. De là est issu le personnage de Matante Germaine mentionné dans le titre. Celle-ci, selon les termes évoqués durant la table-ronde, consomme un certain genre de littérature et s'y limite, au désarroi de l'auteur connu. Le personnage de Tante Germaine est évocateur de deux courants qui s'opposent dans le milieu littéraire: le côté populaire, commercial de la littérature et le côté artistique, recherché de celle-ci. L'éditeur en présence opposait littérature populaire et littérature savante, un terme que j'ai aussitôt détesté. Je préfère et de loin parler de littérature soutenue. Pour moi, ce débat est un faux débat. L'opposition entre les deux est stérile parce que la littérature a besoin des deux pour survivre.
Quand on est libraire, on apprend vite à reconnaître que les lecteurs aiment lire, point. Peu importe ce qu'ils lisent. Et le rôle d'un libraire est de savoir définir leurs besoins pour les guider vers les bons livres. Bon, si matante Germaine aime un certain type de livres, dit populaire... Ben, c'est pas à moi de lui dire qu'elle lit des mauvais livres! D'ailleurs, sont-ils si mauvais que ça, les livres qu'elle lit? On oppose littérature populaire et littérature soutenue (terme que je préfère) en disant que la première est moins bonne, moins ci, mois ça... Sans se rendre compte que dans le fond, tout le monde en lit. S'il y a effectivement une production bas de gamme destinée à remplir les tablettes à peu de frais, ce n'est pas le cas de la majorité des ouvrages dit populaires. Se faire raconter une bonne histoire, ça compte! Si la notoriété d'un auteur n'est pas un gage de qualité littéraire, le nombre de copies vendues n'est pas non plus un gage de médiocrité. Ceci est une affaire de goût et aussi il faut le dire, d'expérience.
Les premiers livres que l'on lit, surtout quand on tombe dans la littérature pour «adultes» (la prolifération du Young adult semble vouloir enterrer cette catégorie) sont plus souvent qu'autrement de la littérature populaire. Et souvenez-vous: c'était bon! Le premier livre qu'on lit est nécessairement bon, on a rien pour comparer! Certains lecteurs trouveront là leur bonheur et ne le lâcheront plus. Mais la plupart, et je le dis d'expérience, la plupart iront voir ailleurs au bout d'un moment. Parce qu'ils auront envie d'autre chose, tout simplement et cet autre chose, ils iront le trouver dans un autre genre de littérature. Parce qu'après tout, entre la littérature populaire bas de gamme et la haute littérature hyper recherchée, il y a quand même cinquante nuances de gris (désolé, elle était trop facile!). On entre par la porte de la littérature populaire et ensuite, on parcourt les rayonnages des divers niveaux littéraires, par petits pas, ponctués d'allers et de retours.
D'ailleurs, pour en revenir à ma première idée le débat entre littérature populaire et soutenue est à mon toujours aussi humble avis totalement stérile. Croyez-vous sérieusement qu'un lecteur débutant voudra se débattre avec La montagne magique de Thomas Mann? De quoi dégoûter quelqu'un! Il faut y aller par étape et développer son goût, comme un sommelier. Le meilleur des vins peut sembler de la piquette au palais non-initié d'un profane. Idem avec la meilleure des littératures. La littérature plus populaire multiplie les portes d'entrées. Une fois le pied dedans, rare, sont les lecteurs qui cessent de lire. Par contre, le nombre d'entre eux qui râlent contre le manque de temps pour lire monte en flèche...
Et quand à ceux qui disent que les ventes de livres populaires cannibalisent les ventes des autres titres, j'ajouterais qu'ils sont aussi là pour occuper le plancher et attirer l'attention sur le livre. Sans succès populaire, pas de littérature plus pointue! Parce qu'il faut quand même faire rouler la roue! La littérature est en ce sens une locomotive, une force qui fait bouger la base, la négliger et la mépriser, c'est oublier son rôle de base dans la propagation de la littérature. Occuper le terrain, amener les gens vers le livre, leur faire franchir le pas, réduire la distance instaurée par un certain élitisme autour du milieu du livre, tout ça n'est pas possible sans la littérature populaire! Le terrain est ensuite largement occupée par d'autres types de littératures qui permettent à tous les lecteurs de trouver selon leur goût. Ce ne seront pas tous les auteurs qui tireront leur épingle du jeu malheureusement, mais là, c'est un autre débat.
Enfin, tout ça pour dire que de la littérature pour matante Germaine, c'est aussi nécessaire que d'avoir d'autres types de littérature pour que tout le monde puisse avoir de quoi lire de bons livres à savourer!
@+ Mariane
7 commentaires:
Lors de cette mini-prise de bec, je n'ai pas pu intervenir, alors je vais le faire ici! ;) J'ai travaillé longtemps avec des "Matantes Germaines", grandes lectrices de Guimauve Musso et compagnie. Et même elles, un moment donné, quand elle sont tombées sur "Fifty Shades", elles m'ont dit "Euh... c'est tu normal que ça soit comme... mal écrit? Avec les mêmes expressions qui reviennent tout le temps?"
Comme quoi même les lectrices de "populaire" veulent un minimum de qualité d'écriture. Et je pense qu'il y a moyen de faire du populaire en l'écrivant bien. Le problème, c'est que de nos jours, beaucoup d'éditeurs de "populaire" ne veulent pas d'un vocabulaire un peu trop relevé ou d'une structure narrative un peu plus compliquée que d'habitude. Alors si on écrit bien un bouquin qui pourrait être "populaire", il se retrouve classé en "littérature savante" sur la base de sa maison d'édition!!!
J'pense qu'il faut effectivement qu'il y ait des livres populaires, plus accessibles, mais qu'on pourrait relever un peu la qualité de leur écriture sans pour autant faire fuir les matantes Germaine. La preuve : les romans historiques sont populaires et ils sont souvent truffés de mots anciens. Les matantes Germaines, elles veulent voyager à peu de frais. Et un livre bien écrit, ben c'est comme un char avec des bons pneus : ça se rend plus loin!
Ah oui, quelle mémorable table ronde! lolol (je revois encore la scène... trop drôle!).
Pour avoir eu un tas de "matante Germaine" autour de moi... qui ont nourri ma soif de lectures dans mon jeune âge, je me retrouve dans vos arguments à toutes les deux.
Oui, ça en prend, de la guimauve pour les matantes Germaine. Parce que des fois, elles ont juste envie de s'évader de leur petit quotidien plate et de rêver. Mais à la longue, il se peut (pas toujours, mais ça arrive, en effet) qu'elles tombent sur d'autres genres de lectures, plus complexes (ou soutenues). Parfois elles aiment ça, parfois non. On appelle ça le libre arbitre! :)
Je n'aime pas vraiment quand les auteurs de "soutenu" dénigrent la littérature populaire, car en même temps, ils dénigrent, en quelque sorte, le "petit peuple", celui qui ne sait pas reconnaître LA qualité...
Par contre, je suis d'accord avec Gen, ce n'est pas parce que c'est du populaire que c'est obligé d'être bâclé. On peut tout de même trouver un juste milieu là-dedans!
Je me rappelle du terme "qualité", qui a fait sursauter le panneliste en question et l'a lancé dans sa tirade à propos de la "matante Germaine". Est-ce une question de qualité? De style? De genre? Mystère...
Moi, je pense qu'à la base, le public aime... ou n'aime pas. Il y a les histoires, il y a la façon dont c'est écrit, il y a tout plein d'aspects qui peuvent ou pas aller chercher le lecteur, mais au final, faisons confiance à ce fameux lecteur : en général, il sait ce qu'il aime ou n'aime pas... Et le dénigrer à cause de ses goûts, je trouve ça un peu plate, parce que tous les goûts sont dans la nature! Et il y a de la place pour tout le monde sous le soleil! :)
Of books and pasta : un essai court par S. Chartrand, auteur et cuisinier à ses heures.
Dénigrer la scrap ne veut pas dire qu'on dénigrent les gens qui en lisent. On s'entend tous pour dire que le Kraft Dinner est de la scrap... ça veut pas dire que je dénigre ceux qui en mangent. Mais je suis certain qu'ils préféreraient, s'ils avaient la possibilité d'y goûter, le bon macaroni au cheddar de ma grand-maman.
Ça ne veut pas dire que je souhaite à tout prix qu'ils mangent des gnochis de pâtes fraîches faites sur place avec de la farine d'épautre biologique et de l'encre de sèche de l'Antarctique, nappé de sauce aux six fromages du terroir vieillis en fût de chêne ayant contenu un hydromel de trèfle de l'île d'Orléans...
(comme semblait dire le paneliste qui disait qu'on dénigrait Tante Germaine)
...ça veut juste dire que le macaroni au fromage peut (et devrait) être moins mauvais que le K-Dinner. Et que c'est insulter le consommateur de lui offrir une pareille scrap quand on pourrait, on moins, niveler vers le haut avec le macaroni de grand-maman.
(ce que voulait dire, je pense, l'autre paneliste).
Les gnochis frais, laissons-les aux connaisseurs et surtout, à tout ceux qui ont la curiosité d'explorer et de risquer l'inconnu. Offrons l'opportunité, mais ne forçons pas les choses.
Mais de grâce, améliorons le Kraft-Dinner littéraire de Tante Germaine en bon macaroni... il en va de sa santé (intellectuelle dans le cas des livres).
My two cents... pis je ne me suis pas trop pompé... pas pire, hein ?
@Gen, on pourrait résumé en disant ce qu'ont dit les jurés au prix Jacques-Brossard: ils voulaient une bonne histoire, bien écrite. C'est ce que cherche tous les lecteurs après tout. Fifty Shades a fait relire beaucoup de monde, mais ensuite, ils sont été vers autre chose.
@Isa, la qualité, c'est évalué selon des critères très différends selon les personnes. Ce qui fait que ce qui sera excellent pour certain sera pourri pour d'autres et certaines personnes aiment le confort de retrouver toujours la même chose. Attention, j'ai bien mis dans mon billet qu'il existe une production bas-de-gamme destinée à remplir les tablettes. Pour moi, la littérature populaire est un cran au dessus et les romans historiques en font partie.
@Sébas, pourquoi je ne suis pas surprise que tu fasses une comparaison culinaire? :P Augmenter le niveau de la littérature populaire? Sans doute oui, mais il me semble que ce serait une énorme machine à faire bouger. Possible, mais selon quel critère? C'est là que ça devient complexe. Et je confirme, tu ne t'es pas trop pompé cette fois-ci! :P
Oui, il faut à tout le monde une bonne histoire bien écrite.
Mais me semble que même si la "qualité" est subjective, il y a des critères de base.
Genre : pas de phrases contenant 28 adverbes, molo sur les adjectifs, y'a moyen d'utiliser un synonyme de temps en temps, attention à la concordance des temps de verbe...
Ça a l'air basique, hein? Pourtant dans la littérature "destinée à remplir les tablettes" ben souvent on a même pas ça!!!
Je seconde ce que dit Gen sur l'augmentation des critères de base. C'est aussi ce que je pense.
J'ajoute aussi la diminution des similis.
Déjà que Fifty Shades était terriblement indigeste, avez-vous déjà feuilleté un simili-Fifty paru durant la vague dans le seul but de profiter de l'engouement ? ou les simili Chevaliers d'Émeraude...
Diminuer les simili permettraient d'abord d'élaguer un peu de scrap et ensuite, donnerait la chance à des trucs nouveaux de sortir... et Tante Germaine aura plus de chance de tomber sur des choses qui lui plaisent plus spécifiquement.
Certes, il faut du Fifty et de l'Émeraude, alors nivelons vers le haut à la manière suggérée par Gen. Quant au reste. varions, pardi !
@Gen et Sébas, c'est là que la libraire voit les problèmes et les solutions d'un autre oeil! Vous avez des points intéressants, mais pour des raisons essentiellement commerciale (ben oui, la vente de livres, c'est un commerce!), ce n'est pas si simple. Remonter le niveau, c'est possible, mais ça prendrait un effort concerté de l'ensemble du milieu. Est-ce possible? Sûrement. Souhaitable? Également. Toutefois, ça demanderait à beaucoup de gens de revoir leurs façons de faire, donc, ça risquerait d'être complexe. Je n'ai pas de réponse là-dessus.
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