lundi 4 février 2019

L'analyste: Show don't tell

Les yeux fixé au plafond, bien allongé sur le divan, j'écoute le grattement du stylo de mon psychanalyste sur son cahier.

-Ça a commencé quand?

-Oh, écoutez, surtout, avec un livre que j'ai lu cet automne.

-Et qu'est-ce qu'il avait de particulier?

-Sincèrement, c'est le premier avec qui ça m'est sauté dans la face.

-Quoi donc?

-Le show, don't tell

Le grattement s'interrompt.  Je peux presque voir sa tronche ahurie dans son silence.

-Et euh, qu'est-ce que c'est?

Je pousse un interminable soupir.

-C'est l'une des premières choses qu'on nous dit quand on commence à écrire.  Il faut éviter de raconter les choses, il faut plutôt les montrer.  Tenez, je vais vous donner deux exemples, vous allez comprendre, disons, le premier, c'est A:

-Elle rêvait de faire de la compétition, a répondu Corrine Valois, la travailleuse sociale.  J'ai eu affaire à Noor l'année dernière.  Pas parce qu'elle était difficile, mais plutôt parce que sa meilleure amie Léa nous donnait beaucoup de soucis.  J'avais remarqué que Noor pouvait avoir une influence positive sur elle.  Je suis d'accord avec Fatima, elle était douée et plutôt raisonnable.  Ce qui n'est pas toujours le cas à l'adolescence, lorsque les hormones voilent le jugement.

-Et maintenant, B:

-Elle rêvait de faire de la compétition, ajouta la quatrième femme qui n'avait pas encore parlé.

-Excusez-moi, votre nom?

-Corrine Valois, je suis la travailleuse sociale de l'école.

-Vous avez eu affaire à Noor?

-Oui, l'an dernier, mais pas pour elle, pour son amie Léa.  Elle nous donnait beaucoup de soucis et j'avais remarqué que Noor pouvait avoir une une influence positive sur elle.  Je suis d'accord avec Fatima, elle était douée et plutôt raisonnable.  

-Ce qui n'est pas toujours le cas à l'adolescence, fit remarquer l'inspecteur.

-Non, les hormones voilent souvent le jugement.*

-Vous voyez la différence?

L'absence de grattement, le silence: il réfléchit.

-Hum, le deuxième exemple me semble plus fluide, plus naturel, l'autre est plus figé.

-C'est exactement ça!

-Et où est le problème?

-Le problème, c'est qu'avant, si je le remarquais et ça m'agaçait, mais qu'en même temps, je n'avais pas les mots pour le dire.  Là, maintenant que je comprends c'est quoi, c'est encore pire.

-Hum, vous le voyez plus facilement?

-Tellement plus facilement!

-Oh, je comprends...

-Quoi, vous comprenez quoi???

-Rien, rien continuez...

-En fait, j'ai l'impression de complètement changer la façon dont je lis un livre.  Je ne les aborde plus de la même façon depuis que je me suis moi-même sérieusement mise à l'écriture.  Je suis normale ou non?

Le grincement du stylo s'arrête.

-Hum, on en discutera lors de notre prochain rendez-vous?

@+ Mariane

*A est un extrait d'un livre, B est une réécriture que je me suis amusée à faire.

2 commentaires:

Alain a dit…

Développer son regard critique est essentiel comme auteur, et en effet on ne peut pas ensuite demeurer le même lecteur.

Il y a des lecteurs qui ne se rendront pas compte d'un excès de "telling". Qui ne se rendront pas compte d'erreurs crasses de narrateur. Qui ne réaliseront pas qu'une roman de 650 pages ne comporte aucun personnage féminin qui n'est pas un élément de décor.

On espère que ces lecteurs ne soient pas aussi des auteurs publiés...

Prospéryne a dit…

Mettons que je commence à avoir pas mal de choses qui me sautent aux yeux...