jeudi 9 août 2018

Les Innovateurs de Walter Isaacson

Les Innovateurs  Comment un groupe de génies, hackers et geeks ont fait la révolution numérique  Le livre de poche  860 pages


Résumé:
Depuis la première personne à avoir pensé un algorithme au XIXe siècle, jusqu'à l'avènement de Wikipédia et de Google, l'histoire des multiples histoires qui ont permis l'avènement de la révolution numérique.

Mon avis:
Bon, première chose à souligner, j'ai mis près d'un an à lire ce livre.  Je l'ai commencé l'été dernier!  Cependant, je ne pense pas que cela ait nuit comme tel à ma lecture.  Ce genre de bouquin super dense gagne à être lu petit peu par petit peu.

Ce qu'il raconte?  La lente évolution, innovation par innovation et découverte par découverte de ce qui a mené à la révolution numérique.  Cependant, l'auteur ne fait pas que dresser une histoire comme on en a souvent vu: il s'intéresse plutôt à ce qui, au cours de l'histoire, a pu permettre l'émergence des idées et des technologies et le pourquoi on les a adoptées.  Sincèrement, c'est là que le livre prend tout son intérêt, car au lieu de nous raconter le quand, il s'attarde à essayer de comprendre le pourquoi et le comment et d'en tirer de grandes règles pour expliquer comment l'innovation s'installe et se développe.  L'auteur défend donc une thèse tout au long, c'est que les conditions de l'innovation ne sont pas le fruit du hasard, mais plutôt que l'on peut les provoquer en rassemblant les bonnes personnes et les bonnes personnalités au bon endroit et dans les bonnes conditions.  Presque toutes les histoires racontées dans le livre appuient cette idée ou montrent ce qui arrive quand les conditions ne sont pas réunies.

Pour le faire, il commence à la base: la personnalité et le cheminement des multiples individus qui ont fait la révolution numérique.  Cela peut paraître banal comme méthode, mais il s'attarde aux grands traits de personnalités, positifs comme négatifs de chacun des individus de l'histoire qu'il raconte.  Sa démonstration permet de voir que loin de favoriser les génies solitaires qui inventent tout dans le fond de leur chambre au sous-sol de leurs parents (quoique!), les innovateurs ont avant tout été ceux qui travaillaient en équipe, le plus souvent en tandem ou en trio et qui étaient capables d'échanger leurs idées avec d'autres personnes de façon collégiale.  Qu'aurait été Apple si Steve Jobs n'avait pas rencontré Steve Wosniak?  Qu'aurait fait Bill Gates s'il n'avait pas connu Paul Allen?  Ce ne sont que deux exemples, le livre regorge de ces histoires de collaboration!  Ce qui a deux conséquences: d'une part, chaque nouvel intervenant est introduit par une courte bibliographie résumant son parcours personnel et scolaire, ainsi que sa personnalité et quelques anecdotes permettant de l'illustrer.  D'autre part, si on lit le livre sur une courte période de temps, on finit par avoir l'impression de lire un catalogue de personnalités.  D'où l'avantage de prendre son temps en lisant ce livre!

Autre point, il montre que les meilleurs idées au monde ne suffisent pas.  Il leur faut quelqu'un pour leur donner leur place au soleil et les faire se développer.  L'auteur, un américain, fait évidemment la démonstration que l'esprit d'entreprise (le chapitre sur le capital risque et les start-up est très intéressant à ce sujet) compte pour beaucoup dans le développement des innovations et que ce ne sont pas nécessairement les meilleures qui triomphent, mais bien celles qui ont réussi à se tailler une place sur la marché.  Cette façon de faire est présentée comme étant positive.  Je ne juge pas, mais je souligne.  Pour ce faire, l'auteur n'hésite pas à mettre en valeur les paires qui joignent les idées et les découvertes avec les visionnaires, l'exemple le plus facile à citer étant évidemment le tandem Jobs/Wozniak.  Cependant, il ne s'arrête pas là et montre que le rôle des institutions, universitaires autant que gouvernementales, ont tout autant son rôle à jouer.  Il cite comme exemple de lieux d'innovations les laboratoires Bell dans les années 1930, le campus de l'université Stanford dans les années 50 et le fameux Xerox Parc dans les années 1970: des lieux ouverts, où se menaient de front plusieurs projets de recherches, mais conçus pour favoriser les échanges impromptus et les conversations croisées entre spécialistes.  Cela mènera au développement des ordinateurs, des transistors et de la fameuse interface graphique du MacIntosh.  

D'un autre côté, l'auteur n'hésite pas à aller voir loin au-delà des grands noms et à parler des petits mains qui ont appuyé la grande roue sans toujours en recevoir le mérite.  Le rôle des femmes et leur apport réel est souligné.  Certes, Ada Lovelace¸ la première personne à avoir formulé l'idée qu'une machine pouvait être autre chose qu'une grosse calculatrice et donc, en toute logique, la mère de la révolution numérique (même si sa contribution réelle fût limitée) prend beaucoup de place, mais les Grace Hooper, Jean Jenning et toutes ces autres programmeuses anonymes sont reconnues pour leur juste travail: pendant que les ingénieurs réfléchissaient, elles étaient celles qui faisaient fonctionner les machines!  L'ENIAC n'auraient pas pu exister sans leur apport.  Il cite aussi un grand nombre d'ingénieurs, d'inventeurs, d'hommes d'affaires et de patenteurs qui ont tous amené leur pierre à l'édifice, que leur contribution ait été reconnu ou non à leur époque.  On comprend alors que la révolution numérique a été une route longue parsemée de faux départ, d'idées brillantes non-réalisées, parfois de vols d'innovations et d'innombrables conflits de personnalités.  Une aventure humaine quoi!

Un aspect qui m'a un peu fait grincé des dents à la longue, c'est que l'ensemble du livre est très américano-centré.  Aucune mention des découvertes informatiques faites ailleurs qu'en Amérique à quelques exceptions près.  Il ne pouvait évidemment pas faire l'impasse sur Alan Turing ou encore Linus Torvalds!  Cependant, à leurs humbles exceptions, presque tous les autres intervenants sont citoyen américain ou naturalisés américains.  On ne peut reprocher à l'auteur d'avoir fait un travail minutieux de recherche, mais on peut lui faire remarquer que d'autres foyers d'innovations étaient certainement situés en dehors des frontières des États-Unis d'Amérique!  Il ne les mentionne tout simplement pas passé les années 1950.

Le résultat est une somme d'érudition, mais aussi de réflexion, qui se lit tout d'une même d'une manière extrêmement fluide.  Ce n'est pas un livre destiné aux initiés, mais à faire de nous des initiés.  Quand on sait d'où proviennent les sources des outils que l'on utilise aujourd'hui de façon quotidienne, on est plus aptes à les comprendre et à mieux appréhender leurs capacités, leurs défauts et leurs limites.  Quand on comprend le chemin qu'en moins d'un siècle on a parcouru collectivement, on ne peut qu'être admiratif et en même temps, réaliste.  La conclusion du livre est d'ailleurs aussi intéressante que le livre en lui-même.  Les derniers chapitres sont consacrés au développement des blogger, Wikipédia et Google de ce monde, (des outils qui sont, mines de rien, collaboratifs!) il était tout naturel qu'il se tourne vers l'avenir.  Et l'avenir selon l'auteur n'est pas celui d'un livre d'horreur de science-fiction où la machine prendrait la place de l'être humain, mais plutôt, dans ce qui a fait la force de la révolution numérique: la collaboration, chacun emmenant ses forces dans l'échange en s'appuyant sur celle des autres.  Vu ainsi, la collaboration humain-machine a de belles années devant elle, l'un emmenant son incroyable capacité à traiter des données et l'autre, ce qui a toujours fait sa force: sa créativité.

Ma note: 4.75/5

5 commentaires:

Gen a dit…

Ah, intéressant comme bouquin. Et pour vivre au quotidien avec un programmeur, les histoires d'horreur de AI qui prennent le pas sur l'humain, on en est loin.
Par contre, on n'est pas très loin des AI qui pourront occuper les jobs présentement au salaire minimum et ainsi tuer, parfois littéralement, une bonne partie des salariés.
Faudra une révolution économique pour que notre civilisation y survivre.
... Remarque, est-ce vraiment nécessaire qu'elle survive en l'état actuel?

Prospéryne a dit…

Je n'avais pas vu les choses sous cet angle, mais la conclusion va dans le sens que la machine prendrait en charge les tâches répétitives et routinières (accomplies aujourd'hui par des humains, oui!) et que les humains se concentreraient sur le côté créatif. J'ai pas pensé à l'emploi en lisant la conclusion. Par contre, tu soulèves un bon point...

Alain a dit…

On a comparé la révolution numérique à la révolution industrielle - seul le temps dira si ça s'avère justifié. Mais il s'agit d'une période fascinante de l'histoire, et qui possède l'avantage d'être très bien documentée.

Et qu'il y a des personnalités fascinantes dans cette époque!

Mais comme toi, je trouve dommage la perspective américano-centriste. Oui, la révolution numérique s'y est produite en très grande partie... mais c'est aussi beaucoup une question de point de vue. Pour ne nommer que celles-là, combien de compagnies japonaises ont eu une influence déterminante sur les évolutions technologiques modernes? Mais nous connaissons beaucoup moins leurs têtes dirigeantes.

(Si l'auteur avait été japonais, il aurait sans doute écrit un chapitre sur l'influence des compagnies de jeu vidéo sur l'innovation numérique. Une compagnie comme Nintendo a fait beaucoup pour changer la perspective populaire sur les nouvelles technologies!)

Prospéryne a dit…

Il y a bien un chapitre sur les jeux vidéos, mais il ne traite que des jeux américains... Juste un exemple parmi d'autres!

Gen a dit…

En effet, dommage la perspective américano-centriste, parce que sur le plan du hardware, ce ne sont pas eux qui ont fait les plus grandes innovations. En robotique et en miniaturisation, les Japonais ont une avance incroyable!