Salut!
À force d'écouter la télévision, de regarder des films et de lire des romans, peu importe le genre et peu importe l'époque où a lieu le récit, je me rends compte que presque tout le temps, partout, il y a un personnage qui revient tout le temps: celui de la prostituée. La fameuse prostituée. Qu'elle soit chic, le fasse à cause de la pauvreté, par choix, qu'elle soit belle ou non, qu'elle aie un rôle principal ou secondaire, voir même de pure figuration, rare sont les oeuvres de fiction qui ne fassent pas le détour par cette case.
Quand j'ai entendu parler du dernier film de Denys Arcand, j'ai soupiré en entendant le rôle qu'il réservait à l'animatrice et chroniqueuse Maripier Morin. Encore une prostituée! Dans l'histoire qu'il raconte, c'est éminemment justifiable: son personnage principal entre en possession d'une grosse somme d'argent qu'il ne peut dépenser ouvertement pour ne pas se faire repérer, mais il est très parlant que la seule dépense d'importance qu'il s'accorde est justement de payer pour des services sexuels. Avec une très jolie femme, clairement identifiée comme l'escorte la plus chère en ville. Certes l'éventail des possibilités dans sa situation est limité, mais pourtant, l'absence de réactions face à son choix me semble parlant: aucun des commentaires que j'ai lu ou entendu sur le sujet ne soulevait la moindre objection. En somme, c'était normal, circuler! Sans entrer dans un débat sur la moralité ou l'absence de moralité du personnage masculin et sur son choix, je trouve que le scénariste a suivi une ligne facile dans l'esprit de beaucoup de membres de notre société et a renforcé cette idée par le fait même: la sexualité d'une femme peut être à vendre et l'argent peut y donner accès.
La première fois que cela m'avait frappée, c'est dans une série télévisée, Défiance, une série post-apocalyptique où suite à une invasion, les humains ont appris à cohabiter en relative harmonie avec une alliance de races extra-terrestres. L'un des personnages durant la saison 1 est la tenancière du bordel local. Le personnage n'est pas du genre à se laisser parler sur les pieds, elle sait s'imposer si le besoin est et qui défend les femmes qui travaillent pour elle avec aplomb. Pas une femme soumise donc. Mais néanmoins une femme à la sexualité disponible moyennant finance. Encore. Une autre... Encore là, ça peut se justifier avec le contexte et le personnage en lui-même n'a aucun problème avec la façon dont elle gagne sa vie. Néanmoins, je dois avouer que ça reste dans le domaine du cliché et toutes les situations qui en découlent reste à l'avenant. C'est comme si on avait mis ce personnage-là pour créer une cascades de situations bien connues, confortables pour l'auditeur, plutôt que de chercher à créer du nouveau. On est pourtant dans un contexte de science-fiction...
D'autant plus que hé, bien, comment dire... Ce sont presque toujours des femmes qui incarnent ces personnages? Pensez à la prostitution que vous avez vu dans la fiction et demandez-vous, sincèrement, combien de personnage de prostitué vous avez vu. Et si votre regard a oublié de remarqué que je n'ai volontairement pas mis de e suite à prostitué dans ma dernière phrase, c'est une preuve que notre regard est grandement habitué à voir ce métier au féminin... et sa clientèle masculine. Poser la question, c'est y répondre: nommez-moi tous les personnages féminins que vous connaissez qui exercent ce métier dans la fiction. Nommez-moi maintenant les personnages masculins pratiquant la même profession... Vous constatez une différence?
C'est là que l'on entre dans le domaine du cliché si bien implanté qu'il en devient invisible. On est habitué à ce cliché, on le connaît et il est utile en fiction parce qu'il permet de paramétrer certains détails de l'histoire sans avoir à faire beaucoup de mises en contexte. Vous ajoutez un détail et on fait de cette femme un personnage prisonnier de sa condition à cause de sa pauvreté. Pouf un autre et elle devient une femme de luxe. Dans tous les cas ou presque, dans la fiction, sauf si elle est contrainte, la femme fait ce métier par choix et y prend du plaisir. Ce qui n'est loin d'être systématique dans la réalité.
Ce qui m'intéresse ici, ce n'est pas tous les tenants et les aboutissants du travail du sexe: c'est ce qu'il représente dans la fiction. Parce que c'est omniprésent dans énormément d’œuvres, avec à côté, le cliché de la strip-teaseuse. Est-ce que parce que la personnage qui écrit ce genre de personnages est plus souvent... un homme? Peut-être! Mais ce n'est pas exclusif. Il y a plus à chercher du côté de ce que cela représente que de qui l'a écrit.
Que représente la prostituée? Il y a à la fois, la disponibilité, la facilité et la fascination. Mais aussi un côté à la fois de mépris et de dégoût. C'est pour ce mélange que la prostituée ne peut être interchangeable avec une femme à la sexualité libérée: il y a une différence entre un service reçu contre rémunération et une relation entamée sur la base de désirs réciproques. De plus, le catalogue des situations qui peuvent être utilisées avec ce genre de personnages est particulièrement bien garni. Bourrés de clichés, mais bien garni. C'est facile à utiliser, c'est facile à comprendre pour le lecteur ou la lectrice et ça résonne très loin dans notre psyché.
Peut-être trop loin, c'est ça le problème. Dans cette facilité qui est à la fois un préjugé, un fantasme et un élément de rejet. L'utiliser et le sur-utiliser réactualise sans cesse de vieilles idées sur la sexualité respective des hommes et des femmes. C'est pourquoi son abondance dans les œuvres de fiction me dérange. Pas que je plaide pour les en faire disparaître, ce serait de la censure et il faut l'avouer, ça reste un type de personnage que l'on peut légitimement utiliser. Non, je pense qu'il faudrait juste remettre en question son usage tellement courant qu'il en est invisible et se demander si c'est bien nécessaire à chaque fois.
@+ Mariane
12 commentaires:
Hum... Autant je partage une partie de ta réflexion (c'est vrai, quoi, forcez-vous un peu, les gars, la prostituée qui aime son métier, et qui vous facilite la vie parce que vous avez pas besoin d'être aimables, juste de payer pour baiser, on est tannées de la voir), autant je crois qu'il y a un élément qu'il ne faut pas oublier avec les prostituées :
Il y en a toujours eu (et je crois sincèrement qu'il y en aura toujours).
Parce qu'il y aura toujours des hommes qui préfèreront (ou seront obligés de, à cause de leurs caractéristiques personnelles) payer au lieu de séduire. Et il y aura toujours des femmes qui se diront "Anyway, j'aime le sexe (ou je ne l'aime pas mais je le supporte), alors puisque je manque d'argent, autant me faire payer."
Les prostitués mâles ont toujours été plus rares et plus discrets (mais ils ont toujours existé aussi). Dans un contexte de SF, je ne ferais pas disparaître les bordels, mais j'en créeraient où les prostitués mâles sont aussi présents que les prostituées féminines.
Enfin, ne négligeons pas, pour les auteurs et scénaristes, le potentiel dramatique des prostitué(e)s : comme ils sont liés au monde interlope, au crime organisé, etc, les intrigues sont à portée de main dès qu'un personnage entre dans cet univers-là.
Je partage ce malaise. Même lorsqu'un personnage de prostituée est présenté comme "en contrôle" de la situation, cela revient à définir un personnage féminin en fonction de sa sexualité. C'est pas très "libérée" que d'agir comme fantasme...
Et derrière beaucoup de ces personnages de prostituées se trouve de la violence sexuelle banalisée. Ça laisse parfois un goût amer lors de la lecture.
Oh, je ne dis pas qu'il faut les éliminer, pas du tout. Ça a plein de ressources dramatiques possibles après tout! Mais c'est la facilité du réflexe d'y recourir que je trouve trop facile. Et le fait que ce sont majoritairement des hommes qui sont les clients et des femmes les prostituées. Surtout que des fois, c'est tellement juste plaqué et utilisé juste comme ça alors que pleins d'autres possibilités existent. À la fois, on ne peut pas s'empêcher de penser au cliché facile ou à la paresse de l'auteur.
La violence et la prostitution sont souvent liés de très près. Quand on banalise la prostitution, on banalise souvent aussi la violence qui y est liée, même si elle n'est «que» de nature économique.
Et tu as raison, la prostitution, c'est réduire la personne à son corps et à l'usage rémunéré que l'on peut faire de celui-ci. C'est pas très libérateur...
Mouais, reste qu'il y a une vérité statistique. La dernière fois que je me suis intéressée au sujet (dans le cadre d'un roman policier), les prostituées féminines étaient encore 80% de la profession et leurs clients étaient mâles à 99%. (Et, en fait, même chez les prostitués masculins, les clients sont souvent mâles, genre 75% du temps. Ça démontre quand même une vérité : les femmes ont rarement besoin de payer pour avoir du sexe.)
Ah ça, la prostituée "en contrôle", c'est sans doute le personnage qui me dérange le plus. Il est tellement irréaliste! (Surtout que, tôt ou tard, la pauvre fille "en contrôle" finira pas perdre le contrôle.)
Je ne te suis pas là-dessus Gen, parce que de un, l'offre pour la prostitution dédiée à une clientèle féminine est carrément famélique comparée à celle dédiée à une clientèle masculine. Mais, et bien, elle existe et si je me dis à un récent article dans La Presse, c'est même en forte croissance! Il y a aussi l'énorme différence sociale dans la vision des sexualités féminines et masculines qui fait que, en général, un homme qui va voir des prostituées est moins mal vu qu'une femme qui fait la même chose. Le tabou n'est pas le même.
Mais dans tous les romans de SF, entre autre, on est dans le futur, pourquoi reproduire quasiment à l'identique les schémas sociaux actuels?
En effet, on peut perdre le contrôle, mais d'après, plus ou moins que dans d'autres corps de métier? C'est inhérent à ce travail ou c'est juste une vision des choses que l'on a?
Parce qu'ils sont écrits par des hommes! lol! (Mais comme je disais, personnellement dans un concept de SF, c'est sûr que mes bordels seraient 50/50 chez les clients et les prostitués!)
Encore une fois, selon les statistiques criminologiques actuelles, plus ton travail te met en contact physique avec tes clients, plus les chances que ça tourne mal et que tu sois agressé, violenté, tripoté, etc, augmentent. (Il est plus dangereux d'être massothérapeute que femme de chambre, plus risqué d'être femme de chambre que serveuse, plus risqué d'être une serveuse qui marche entre les tables qu'une barmaid qui reste derrière son comptoir, etc) Bref, avec les prostitués, on a pas mal la job la plus à risque côté contacts physiques! Surtout que tant qu'on reste dans un contexte réaliste, les prostitués sont en marge du système légal et sont donc exposés à des drogues et à d'autres crimes, sans pouvoir appeler la police aussi facilement que le citoyen ordinaire. Donc les chances de perdre le contrôle sont immenses. Je ne dis pas que les auteurs ne pourraient pas se forcer côté personnage, mais les auteurs qui représentent les prostituées comme des gens en situation de fragilité ou risqué, ben ils ont pas nécessairement tard. Des Melody Nelson, y'en a pas des tas (elle l'admet elle-même).
Tu compares la situation avec d'autres métiers féminins, mais je pensais plus largement. Un videur de bar est plus à risque de contacts physiques, mais sera-t-il jugé autant à risque de perdre le contrôle? Un professeur d'arts martiaux ( ; ) ) est très à risque d'être frappé par un étudiant un de ses jours, mais jugera-t-on qu'il perd le contrôle dans ces situations-là? On s'entend que le risque d'agression est énormément multiplié dans le cas des travailleur(se)s du sexe, mais c'est le sens de perte de contrôle dans ta phrase qui me chicote. Parce que risquer de perdre le contrôle (donc de tomber en mode d'incapacité d'agir) et risquer une agression, ce n'est pas tout à fait la même chose.
Les miens aussi! :D
Enregistrer un commentaire