La physique des catastrophes Marisha Pessl Gallimard Folio 817 pages
Résumé:
Bleue van Meer vit avec son père, professeur universitaire vagabondant d'une faculté à une autre, et ce depuis la mort de sa mère. Pour sa dernière année, et pour lui assurer le maximum de chance de finir major de promotion afin de sécuriser une place à Harvard, son père s'ancre à Stockton, en Caroline du Nord. Elle y fera la rencontre de Hannah Schneider, une professeure de cinéma qui a rassemblé autour d'elle une bande de jeunes, à la fois intelligents et fragiles, comme un petit club qui se réunit chaque dimanche après-midi. Entre ces jeunes, ce professeur fascinant et ce père fantasque, féru de culture, de citations et de pavés universitaires, Bleue devra commencer à défiler un écheveau qui la dépasse.
Mon avis:
Il y a des livres qui sont durs à critique. Je ne sais juste pas quoi dire sur eux! Il y en a d'autres qui au bout de quelques dizaines de pages ont déjà entraîné la prise de dizaines de notes mentales et un sentiment de délectation à l'idée de la rédaction. C'est le cas de celui-ci.
Je vais parler des trois grands éléments qui marque ce livre, le linéaire, le méta et le caché. Parce que ces trois éléments s'imbriquent, se chevauchent, jouent les uns avec les autres tout au long du livre. Le linéaire, c'est l'histoire de Bleue au quotidien: sa vie avec son père, celle à l'école où elle est tout entière centrée sur l'étude, celle avec le Sang-Bleu, une petite bande tournant autour de la professeure Hannah Schneider. Le méta, c'est Bleue qui écrit sur elle-même, quelques mois après, écriture qui est enclenchée par le suicide d'Hannah (pas un punch, elle en parle dès l'introduction), à la fois analysant et cherchant à comprendre ce qui s'est passé. Et il y a le caché, qui concerne un personnage en particulier, quelque chose qu'on ne voit pas venir à dix kilomètres à la ronde, mais je ne dirais rien là-dessus parce que le livre fait près de 800 pages et c'est l'un des délices de celui-ci que de comprendre cette partie de l'intrigue. Les trois éléments s'imbriquent, mais si on est centré sur le linéaire, le méta s'impose et le caché finit par nous sauter dans la face à un moment. Bref, c'est un travail de réflexion sur une mise en abîme d'une même histoire et ça en fait un récit fascinant à lire car la lecture est toujours à plusieurs niveaux.
Même dans la structure du livre, on sent cette influence. Comme ce qu'elle connaît le mieux est la culture universitaire dans lequel elle baigne depuis sa petite enfance, Bleue rédige le livre comme une thèse de doctorat, en citant ses sources. Par exemple, elle a surnommé les petites amis occasionnelles de son père les Sauterelles, elle nous met la référence d'un livre pour trouver plus d'informations sur les sauterelles, titre, auteur, éditions, année de publication. Et c'est partout dans le livre, autant pour une référence littéraire que pour une définition d'un phénomène politique. Ensuite, elle fournit des références visuelles à son analyse, constituée de photos avec légendes. Et le livre se finit (je ne donne pas de punch en disant ça) par des questions d'examens pour savoir si nous avons bien compris son histoire! Détail intéressant, chaque chapitre est intitulé d'après une oeuvre littéraire qui donne une idée de ce qui s'y passera. Il y a un chapitre sur Madame Bovary, un autre sur Les liaisons dangereuses, un sur Portrait de l'artiste en jeune homme... Mettons que lorsque l'on voit Justine ou les injustices de la vertu ou La métamorphose, on sait que l'on va plonger dans un chapitre fascinant. Toutes ces références croisées donne un ton, une allure au récit, parce qu'on croise à tous moments le linéaire, le méta et le caché, jusque dans ces petits détails-là.
C'est le talent incomparable de conteuse de l'auteure qui fait le reste. Il faut le dire, c'est une brique de 800 pages et partant, ça prend un sacré souffle pour garder l'attention du lecteur, d'autant plus qu'à prime abord, il ne se passe pas grand chose! C'est le récit de la dernière année de secondaire d'une adolescente plutôt coincée, qui ne voit le monde que par le prisme universitaire et culturellement assez pointu dans lequel son père l'a élevée qui tout à coup, est confrontée au reste de la vie. Il ne se passe rien, mais il se passe tout à la fois. C'est dur à expliquer, mais de petits insignifiances, l'auteure réussit à nous tracer un récit qui tient la route qu'on tourne les pages, en se demandant un peu pourquoi à certains moments, mais on continue à tourner les pages. Et à la fin, on comprend un peu mieux pourquoi on l'a fait!
Est-ce qu'on accroche à cause des personnages? Pas du tout! Même Bleue reste un personnage assez naïf, pas particulièrement débrouillarde et assez pied dans les plats, plutôt mal étoffé. Pourtant, on la suit, peut-être pas tant avec intérêt pour elle que pour ce qu'elle vit. Cela peut paraître bizarre, mais les actes de Bleue sont plus intéressants qu'elle-même et c'est dans son regard au scalpel qu'elle porte sur tout que réside l'intérêt de ce personnage. N'oublions pas que c'est elle-même qui rédige le texte et elle le fait à la manière d'une thèse universitaire. D'ailleurs, on explore très peu la psychée des personnages. Ce qui s'applique à Bleue s'applique également aux autres. On observe de petits détails à leurs sujets, on comprend leurs manies, leurs motivations, mais ils sont autant de rats de laboratoires sous la plume de Bleue. Ce texte respire l'analyse, pas une plongée dans les tréfonds de l'âme humaine. Alors pourquoi y reste-t-on scotchée? Le talent de conteuse de l'auteure. Rien d'autre.
Ça prend quand même une certaine volonté pour passer au travers d'un texte aussi long, surtout rédigé de la façon dont il l'a été, mais ça reste un exploit littéraire d'une certaine façon. En ça réside le génie du livre: tout est là, tout est sous notre nez et pourtant, on doit s'interroger autant que Bleue en train de le rédiger pour le comprendre.
Ma note: 4.5/5
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