Salut!
Quand on fréquente des écrivain.e.s, on apprend vite un terme qui est entouré à la fois de glamour, de sueur, de mystère et de souffrance: la direction littéraire ou si vous préférez, la dirlitt. Tout ceux qui sont passé par là vous le dirons: c'est un passage obligé, souvent difficile, parfois une épreuve, mais quand on est passé par là, on est un vrai, on a fait ses classes, on a passé le test, réussi l'épreuve, on entre dans la cours des grands!
Quand j'ai commencé à écrire, il y avait une petite partie de moi qui avait hâte à l'épreuve, hâte d'avoir mon certificat, de réussir l'examen de passage. Je savais que ce ne serait pas si facile. Je me rappelle des commentaires: Ah mon dirlit m'a fait réécrire tout un passage, il m'a fait changé mon narrateur, elle m'a fait coupé deux personnages secondaires! Moi, j'écoutais, un brin envieuse, un brin inquiète. Mais intérieurement, j'avais l'enthousiasme d'une condamnée au sacrifice maya qui courait en haut de la pyramide se faire arracher le coeur sous le regard ébahi du grand prêtre. Bref, j'étais plein de bonne volonté et un brin naïve.
Et puis sont venus les ateliers d'écriture. Je suis allée au premier un brin timide, encore mal assurée dans les premiers pas que je faisais. Naïve, surtout et avant tout. On va retravailler un texte. Ah, très bien que je me suis dit. Dans ma tête, mon texte était une jolie maison. J'avais longuement réfléchi à tout, choisi la couleur de la salle de bain, installé les rideaux dans la chambre du deuxième et réaligné le sofa selon l'angle le plus propice pour regarder le soleil couchant. Je m'attendais à ce qu'on me demande de faire des changements. Je savais que ça ne resterait pas ainsi. J'étais prête à faire des rénovations, à changer bien des choses. Mais l'animatrice de mon premier atelier a regardé mon texte et a déclaré d'un ton léger: «Ouin, faudrait élargir les fondations, mettre la salle de bain à la place du salon et enlever le deuxième étage.» Dans mon coin de la salle, je suis restée complètement hébétée pendant quelques secondes, mon esprit pensant avant tout aux rideaux que j'avais installé dans la chambre du deuxième... Ma jolie maison s'effondrait sous mes yeux et je regardais, trop secouée pour réagir, les ruines fumantes desquels mes partenaires d'atelier m'assuraient que je pourrais sortir un texte fort intéressant.
La future sacrifiée est partie en courant dans la direction inverse...
Je pense que j'ai mis un sacré bout de temps à m'en remettre. Cet atelier m'a vraiment sonné, très profondément. J'ai complété le texte, tout le monde m'a fait des compliments, mais j'ai eu du mal pendant un bout de temps à le considérer comme mon texte. Je repensais parfois à mon ancienne maison, si jolie. Et puis, à force de rebâtir la nouvelle, en reprenant les mêmes matériaux, j'ai fini par réapprendre à l'aimer. Oh, pas du jour au lendemain. J'ai pesté contre le fait que je ne pouvais plus aligner le sofa pour voir le soleil couchant et je me suis parfois trompée de direction entre le salon et la salle de bain. Mais petit à petit, à force de réécriture, j'ai réussi à retrouver ce qui était peut-être le plus important: l'ambiance du texte, l'atmosphère de ma maison, était encore là. J'avais beau avoir tout réaménagé, il y avait toujours cette douleur que j'avais voulu inhérente à mon personnage principal qui restait là, tapie dans les ombres et les recoins de ma maison reconstruite. Les jolis rideaux sont restés quelque part dans les décombres de l'ancienne par contre.
Ensuite est venu le processus de soumission, interminable attente où on lance une bouteille à la mer et où a le temps d'oublier qu'elle contenait une adresse de retour tellement ça fait longtemps qu'on l'a envoyé. Est arrivé dans ma boîte courriel un petit message en août dernier qui m'a fait sauter au plafond. Ma maison, retapée entièrement, avait effectivement plu à quelqu'un! Dans mon petit coeur est cependant parti le compteur: tu vas devoir affronter la dirlitt cette fois... Et déjà que l'atelier avait fait tellement mal!
Je me suis donc trémoussée sur ma chaise dans l'attente de la fameuse épreuve qu'il me manquait à mon tableau de chasse. Ok, j'ai déjà publié un texte, il y a déjà mon nom sur une couverture de Solaris (sans faute dans mon nom, yé!), mais il me manquait le certificat. J'attendais donc ma copie rougie de commentaires, de voir encore une fois ma maison réduite à un petit tas fumant et de devoir la reconstruire. Sauf que... c'est pas arrivé.
Mon directeur littéraire m'a rendu ma copie avec plein de commentaires sur la peinture et la décoration. Il m'a aussi suggéré de changer l'orientation par rapport au soleil. Tout s'est fait en douceur, sans douleur. Bon, un petit peu de misère à ajuster les tableaux et les cadres de portes à certains endroits et je me suis un peu battue avec le papier peint dans certaines pièces, mais mon directeur littéraire est grimpé sur un escabeau pour m'aider à l'installer. Les ombres n'ont pas changé, les recoins diffusent toujours ce que je voulais quand pour la première fois, j'ai sorti mon personnage de ma tête pour le mettre sur le papier.
C'est fini depuis la semaine dernière.
À lire dans Solaris en novembre 2020.
Et mon diplôme est enfin sur mon mur!
@+ Mariane
4 commentaires:
Pour avoir été témoin de tout ce parcours, je suis vraiment content qu'il se termine ainsi!
Et je suis certain qu'un quartier domiciliaire complet sera développé autour de cette maison, alors tu as encore beaucoup de boulot devant toi!
Tant que les immeubles ne tombent pas tous en ruine juste après la pose des rideaux! ;)
Hihihi! J'adore ta description des choses! ;)
Bravo pour le diplôme!
Et le secret c'est que dans le fond, ta première dirlitt, c'est en atelier que tu l'avais eue. Après avoir fait des ateliers (où on a le temps de te faire abattre le bâtiment et refaire les fondations), la dirlitt "ordinaire" ça va toujours bien! Lolol!
C'est ma conclusions aussi, mais je l'ai compris après seulement, pas durant l'atelier! Merci encore pour tes conseils en architecture, chère sempaï ;)
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