mardi 15 octobre 2019

L'effet d'entraînement

Salut!

Depuis un certain temps, je remarque que quand la violence éclate dans la réalité, automatiquement, on braque les projecteurs vers la violence fictive, celle qui règne dans les jeux vidéos et les films d'actions.  Cette violence-là, elle est banalisée, voire acceptée dans notre vie quotidienne, on la consomme, on va la voir au cinéma, on la joue sur notre écran, on la lit dans des romans.  Ce n'est que lors d'un événement tragique dans la vraie vie qu'on la dénonce.  Autrement, qui en parle vraiment?

D'ailleurs, on la dénonce lors d'une fusillade, par exemple, pour dire que le problème vient de là.  Que c'est à cause de toute cette violence que l'on voit à l'écran (surtout, c'est moins présent en littérature) que les gens deviennent fous.  Que cela créé un effet d'entraînement, qu'il faut bannir la violence à la télé, au cinéma, dans les jeux vidéos et dans les livres etc, etc.

Je ne dirais pas que la violence vue à l'écran est à banaliser.  Ni que cela n'a pas pu jouer un rôle à un niveau ou à un autre dans le passage à l'acte de certaines personnes.  Cependant, si on regarde la situation de façon objective, ben, c'est loin d'être si sûr que ça: des millions et des millions de personnes consomment ces oeuvres de fictions et seule une pincée d'entre eux passent à l'acte.  D'ailleurs, quand ils le font, qui sont leurs modèles?  John Wick, Rambo ou d'autres personnes, bien réelles, qui l'ont fait avant eux?  Et quels sont leurs motivations?  Reproduire des idées de mondes fictifs ou vouloir pousser leurs idées politiques... bien réelles?

D'ailleurs, si l'effet d'entraînement entre la fiction et la réalité était si fort, ça ferait que pas mal de jeunes voudraient vivre leur propre version de la quête de Frodon pour détruire l'anneau ou se monteraient des équipes de quidditch.  Hum, ok, tout ça existe?  D'accord!  Mais les gens qui le font, le font-ils en pensant que cela est la réalité ou juste pour pousser plus loin l'expérience de la fiction?  Je plaide coupable la première, j'ai revêtu armure et maquillage pour me réincarner en gobeline le temps de quelques fins de semaine.  Est-ce que j'ai aimé?  Oui!  (Sauf pour les normes d'hygiène en vigueur...)  Est-ce que j'ai pensé que tout ça était réel?  Pas le moins du monde!  Y'a que Don Quichotte pour prendre des moulins à vents pour des monstres...

Je ne pense pas que la violence dans la fiction soit tant que ça la source de la violence dans le réelle, mais elle remplit un grand rôle pour celle-ci: la catharsis.  Allons, qui n'est jamais sorti du cinéma après un film de Marvel ou de Michael Bay plein d'enthousiasme, le coeur léger et l'esprit bien alerte... sans que jamais personne ne soit tenté de grimper sur une moto pour se jeter du haut d'un immeuble?  On l'a vu, on s'est imprégné de cette force, de cette énergie... sans la vivre soi-même.  La plupart des gens ne peuvent pas soulever des marteaux qui génèrent des éclairs, ne tueront jamais personne, ni ne se promèneront dans un quartier en ruine en tirant sur tout le monde.  Mais à travers un personnage, on l'aura un peu vécu.  D'ailleurs, c'est le but de la fiction: nous faire entrer dans le monde des personnages que l'on suit, nous faire comprendre leurs émotions, leurs défis.  Leur excitation face au danger aussi.

Bien sûr, la fiction A un impact sur la réalité, sur la façon dont elle modèle notre imaginaire.  C'est bien pour cette raison que l'on se bat pour qu'elle soit plus représentative et plus inclusive!  Elle a le pouvoir de donner des modèles, d'inciter des actions, mais aussi de montrer ce que l'on ne voudrait pas voir et de permettre de vivre des émotions qui nous seraient autrement interdites, de faire des gestes que jamais on ne ferait dans notre vie quotidienne.  C'est une façon d'explorer nos zones d'ombres tout autant que nos zones de lumière.

En fait, je ne pense pas que la violence dans la fiction soit la cause de la violence dans la réalité, tant qu'il soit clair ce qui relève de l'un et de l'autre.  Ce quand la ligne entre les deux se brouillent que je suis inquiète.

@+ Mariane

3 commentaires:

Gen a dit…

Le problème avec la violence en fiction est plus une question d'anestésie de l'empathie sociale : les gens sont moins touchés par les drames réels, surtout s'ils se passent loin, parce qu'ils ont vu pire en fiction et font mal la différence. (Mais c'est vrai seulement pour la violence réaliste, surtout si elle est esthétisée, la quête de l'anneau et le marteau de Thor ne produisent pas cet effet)

Cela dit... si les films, livres et jeux causaient la violence, le Japon aurait le plus haut taux de tueurs fous. Oups, c'est pas tout à fait ça... (mais ils sont pas reconnus pour leur empathie)

Prospéryne a dit…

Je ne suis pas d'accord avec toi sur la question de l’anesthésie de l'empathie sociale. Les grands drames provoquent souvent des réactions importations (on a qu'à penser à Parkland ou à Sandy Hook). Le problème est plutôt que la violence réelle devient de plus en plus répétitive et devient partie prenante de la réalité. Ça n'a rien à voir avec la fiction. Si on est rendu à la 200e fusillade de l'année, que l'on soit exposé ou non à de la violence en fiction, on ne sera plus empathique face aux victimes. On a épuisé notre réserve d'empathie tout simplement.

Quand à la partie «ouais, mais au Japon, c'est de même!», je n'oserais certainement pas t'obstiner là-dessus! :P

Gen a dit…

J'pense que y'a un mélange de nos deux idées : la violence réelle ne nous touche plus parce qu'elle se répète... alors si la fiction nous expose aussi aux mêmes faits, l'anesthésie continue. Mais dans tous les cas, la fiction n'est jamais une cause, c'est un symptôme. On trouve de la violence en fiction parce que la réalité est violente et qu'il faut la sublimer. D'où l'intérêt de porter un oeil attentif aux montées de violence en fiction, parce qu'elles peuvent montrer qu'il y a un malaise social et qu'il faut agir (et condamner cette violence fictive ne suffit pas comme agissement).