lundi 22 avril 2019

Et sur nos ruines, ils écriront des histoires

J'ai vu la vieille dame.  C'était il y a deux ans, en automne.  La matinée était superbe.  C'est au détour d'une rue que j'ai pu entrevoir ses célèbres beffrois, gardiens de ses clochers.  Elle m'a fait l'effet d'une vieille dame encore digne malgré l'âge, mais usée, et surtout, harcelée par les touristes qui comme autant de mouches, se pressaient devant et en elle.

Bien sûr, j'ai pris des photos...

La vieille dame et moi
Notre-Dame de Paris...

Bien sûr, pour moi, c'est avant tout les lieux où se déroulent la célèbre histoire de Victor Hugo.  C'est aussi là que les Parisiens et les Français se rassemblent, dans les moments de tristesse comme dans les moments de joie.  C'est sur son parvis que Marguerite de France épouse Henri de Navarre dans La Reine Margot.  Ce sont ses cloches qui ont sonnées à la libération de Paris.  Napoléon s'y est couronné.  On a décapité les statuts de la galerie des rois sur son fronton à la Révolution parce que le peuple ignorait qu'il s'agissait de rois bibliques et non français...

J'ai vu la vieille dame.  Comme 13 millions d'autres personnes par année.  Mais on ne la verra plus.  Plus comme je l'ai vu.  Cette cathédrale mythique, symbolique, n'existe plus.  Certes, on la reconstruira.  On ajoutera une touche de modernité à ses pierres vieilles de huit siècles, comme Violet-Leduc l'a fait il y a deux cents ans...  Non, ce qui est parti en fumée ne peut pas être retrouvé, parce que c'était, sous forme d'objets, ce que le peuple de France avait mis dedans qui est disparu.  Au travers des siècles, les humains laissent leurs traces partout sous forme de monument, d'art et de symboles.  Notre-Dame de Paris représentait tout ça.  Depuis près d'un millénaire.

Quand on construit un monument destiné à défier le temps, c'est avant tout un message à l'avenir que l'on lance: Vous qui viendrez après nous, qui serez nos descendants, nos ennemis ou nos successeurs, voilà ce que nous étions, voilà ce en quoi nous croyons, voilà ce que nous jugions important de transmettre à l'avenir.  C'est ce message, destiné au temps, que l'on peut préserver, mais pas reconstruire, parce qu'une partie de sa valeur se fonde sur la durée de sa survie face aux tourbillons de l'Histoire.

Notre-Dame va se transformer, évoluer, devenir autre, mais sa charge émotive va rester la même.  Cela n'a rien de religieux.  Que cette cathédrale ait traversé les siècles, elle l'a réussi parce qu'elle représentait un lieu de foi et que durant sa longue vie, cela a suffit à la protéger.  Elle est devenue beaucoup plus que ça au fil du temps.  La fonction a changé, mais un fait demeure: elle reste un symbole pour son quartier, sa ville et son pays.

Victor Hugo a écrit sur une cathédrale qui tremblait sur ses fondations, avant les travaux de Violet-Leduc. D'autres écriront des histoires sur elle, en elle, à travers elle.  Comme on a écrit des histoires sur les ruines des cités aztèques, incas, grecques, sumériennes, babyloniennes, médiques, celtes, chinoises, hindous, égyptiennes, et de celles de temps d'autres cultures qui nous ont précédés et qui ne sont plus, mais ont laissé derrière elles des ruines pour nous rappeler leur passage sur Terre.  Si les ruines d'Angkor Vat, les pyramides d'Égypte et du Yucatan, les restes du Parthénon, l'antique cité de Palmyre, la cité interdite de Pékin et tant d'autres fascinent autant, c'est qu'elles sont le reflet pour une autre société d'un lieu aussi symbolique que l'est Notre-Dame de Paris pour notre époque.  Ces lieux, même si de larges pans de leur mémoire reste perdue, portent le reflet de ce que les peuples qui les ont habités ont vus en eux.  Et les ruines sont là pour le rappeler au présent.

J'ai vu la vieille dame avant une de ses métamorphoses.  Elle en a déjà vécu, elle en vivra encore.  Celle-ci ajoutera une couche de XXIe siècle sur des pierres posées presque mille ans avant.  Un jour peut-être, elle ne sera plus que ruines.  Mais dans ces ruines resteront marquées le passage sur terre d'une façon de voir le monde, des gens qui l'ont construite, d'une société, de ceux pour qui elle a eu un sens alors qu'ils ont vécu, aimé et souffert.  Cette charge-là est plus lourde à porter pour Notre-Dame que ses vieilles pierres.  Parce que ceux qui viendront après nous, chercherons en elle ce que nous voulons y voir.  D'autres personnes prendront alors la plume pour tenter de raconter, à travers les verres déformants du temps, ce qu'était cette vieille dame et ce qu'elle a signifié pour nous.

@+ Mariane

6 commentaires:

Gen a dit…

Quand j'ai visité Notre-Dame en 2012, je me souviens avoir été déçue. Pas de son aspect, mais du fait que tout ce qui résonnait dans le transept, c'était les tiroirs-caisses des boutiques de souvenir! (Mon chum avait dit "Les marchands sont revenus dans le temple") Par contre, la façade, avec ses tours et sa rosace, m'avait charmée, parce qu'elle était telle que je l'ai lue, vue en peinture, rêvée, etc... Et la façade a survécu. Alors oui, on ajoutera une couche de modernité sur le reste, mais l'essentiel, le souvenir, vivra. Et, comme tu le dis si bien, les marques du passage du temps donnent aux ruines une partie de leur charme.

Prospéryne a dit…

L'intérieur de la cathédrale m'avait déçue pour les mêmes raisons (me faire taxer 2 euros pour un guide explicatif de 8 pages, grrr...). Mais l'extérieur de Notre-Dame, regarder le plafond, les vitraux, ça oui. Sauf que j'avais vu la Sainte-Chapelle juste avant, alors question vitraux, ceux de Notre-Dame sont bien moins intéressant!

Alain a dit…

D'un simple point de vue architectural, la cathédrale Notre-Dame n'est sans doute pas la plus impressionnante d'Europe; celle de Strasbourg m'avait bien davantage saisi. Mais quel poids de l'histoire porte-t-elle!

Prospéryne a dit…

Chartres est plus haute, St-Denis plus liée à l'histoire royale, Reims était celle du couronnement, mais Notre-Dame symbolise toute la France, toutes les couches de la société et elle a été au coeur des événements depuis 800 ans. Ça compte pour beaucoup!

Gen a dit…

Ah c'est sûr, la Sainte-Chapelle, côté vitraux on n'a pas fait mieux! Et si on discute juste des qualités esthétiques des cathédrales, St-Sernin, à Toulouse, était magnifique (tellement aérée et aérienne, avec un cloître paisible attenant). Mais Notre-Dame, comme dit Prospéryne, c'est un symbole tellement important pour la culture littéraire et cinématographique!

Prospéryne a dit…

Littéraire, cinématographique, politique (c'est pas pour rien que De Gaulle s'est rendu directement là à la libération de Paris), de deuil national (combien de messes commémoratives ont eu lieu à Notre-Dame?), populaire aussi, parce que et bien, si tu vas à Paris, l'un des premiers trucs que tu veux voir, c'est bien Notre-Dame! Ça fait des couches de sens par-dessus des couches de sens...