lundi 3 octobre 2022

De la contamination de l'imaginaire

 Salut,

L'autre jour, je me repassais dans ma vie quelques grands classiques. Dickens, Poe, Stevenson, Caroll, Doyle, je me faisais un plaisir à me remémorer mes lectures et à plonger dans ces histoires qui ont fait le tour du monde. Sauf qu'à un moment donné, un fait m'a fait sursauter comme si j'avais reçu un coup dans le ventre: aucune des œuvres auquel j'avais pensé n'avait été écrite en français...

Pourtant, nombre d'histoires ont été écrites en français à la même époque et sont aussi des chefs-d'œuvre. Par ici les Dumas, Verne et cie. Mais leur influence diminue avec le temps. Les classiques qui envahissent nos univers sont souvent ceux qui ont nourri l'imaginaire de gens vivant dans une autre langue que celle dans laquelle j'ai grandi: l'anglais.

Je n'ai rien contre l'anglais comme tel. Mais j'en ai contre le système qui fait que beaucoup de ce qui a été produit en anglais finira par être traduit et trouvera un nouvel écho dans d'autres langues, alors que moi, qui écrit et qui vit en français a des chances infinitésimales de trouver pareil écho en anglais. Question de marché, certes, mais aussi question de culture. Je suis habituée à vivre dans un univers de traduction, où le 221b Baker Street a une signification. Mais si j'étais habituée à ne connaître que des œuvres qui ont été pensées et produites dans ma langue, avec mes codes culturels, lire rue St-Denis ou avenue Mont-Royal dans une œuvre peut me faire sursauter. Parce que ça ne ne me parlera pas autant. Ce sera la culture d'une autre personne, d'un autre groupe, alors que ma propre culture pourra sembler plus universelle. Même si elle ne l'est pas nécessairement.

Ce mouvement qui part de pays qui sont majoritairement anglophones n'est pas anodin: c'est aussi une façon de prolonger au niveau culturel les relations de pouvoir économiques et politiques déjà existantes. Et même, je parle de l'anglais, mais tout n'est pas égal: un auteur américain aura plus de chance qu'un auteur britannique ou qu'un auteur canadien à ce grand jeu. Les relations de pouvoirs entrent en jeu là aussi: ceux qui sont au sommet auront tendance à privilégier ceux qu'ils connaissent. Pour le succès d'une Margaret Atwood, combien d'auteurs moins talentueux, mais avec un drapeau à cinquante étoiles sur leur passeport seront traduits, adaptés au cinéma et auront la chance de se faire connaître au-delà de leurs frontières? 

Et encore là, même au sein des États-Unis, les voix de personnes racisées ou marginalisées seront moins entendues. Rien n'est simple.

L'imaginaire se construit jeune. Être habituée à connaître des voix qui ne viennent pas du même contexte que nous avec des codes culturels différents est essentiel. Apprendre que d'autres langues existent et apprécier les œuvres qui en proviennent aussi. Le hic, c'est que ce mouvement doit être réciproque. Si on ne maîtrise pas une seconde langue, la traduction existe, mais encore faut-il qu'elle soit de bonne qualité, ce qui n'est pas toujours le cas. L'échange est de loin préférable.

Cette contagion de l'imaginaire finit par être telle que l'on se reconnaît de moins en moins dans les oeuvres qui ont été produites dans notre propre langue que celle qui se passe dans une ville à des milliers de kilomètres de chez nous. Et peut finir à long terme par diminuer la valeur de notre propre culture à nos propres yeux.

@+ Mariane

2 commentaires:

Gen a dit…

Eh oui... cela dit, il y a un autre facteur qui entre en jeu : les anglophones ne lèvent pas le nez sur la littérature divertissante (sff, polar, etc) sous prétexte que c'est pas de la vraie Littérature. Donc elle se propage dans plus de milieux (on la lit par plaisir ET on l'étudie à l'école, alors que l'équivalent francophone est boudé par le milieu académique), séduit plus de gens... et s'établit comme canon.

Prospéryne a dit…

@Gen, Vraiment, j'aime de moins en moins les milieux universitaires français...