lundi 4 juillet 2022

Dénoncer le présent, imaginer l'avenir

 Salut,

J'ai lu il y a plusieurs années un roman de fantasy où, il y avait un couple lesbien. C'est surtout le fait que pour les autres personnages du roman, ce couple était tout ce qu'il y a de plus normal qui m'a frappé: deux femmes qui s'aiment et qui partagent un lien puissant. Voilà tout. Encore plus surprenant pour moi, c'est la date de rédaction du roman: 1987. Certes, ce n'est pas si ancien et les mouvements LGBT étaient déjà actifs depuis un long moment. Mais c'est la première fois que personnellement, j'ai vu un couple homosexuel dans un livre de l'imaginaire traité comme si c'était la chose la plus normale du monde. Mais il y avait plus dans ce livre: des femmes aux postes de pouvoir, des gens de religions différentes qui coexistaient sans problème et autres inversement des genres: un cuisinier au lieu d'une cuisinière, une maîtresse d'armes au lieu d'un maître d'armes, etc.

Ce n'est qu'un exemple, évidemment, mais souvent, je remarque dans les genres de l'imaginaire, et particulièrement en science-fiction, une tendance: celle de créer l'avenir tel voudrait qu'il le soit. Les femmes occupent des postes de pouvoir dans Star Trek, les personnages LGBTQ2S et les couples mixtes dans Doctor Who, les scientifiques de renoms noirs dans The Expanse, etc. Bref, on corrige ce que l'on dénonce aujourd'hui comme étant des aspects problématiques de la société. On crée dans la fiction l'avenir dont on rêve.

D'un autre côté, je suis aussi en contact avec de la fiction produite aujourd'hui qui dénonce des situations actuelles, réelles: le sexisme, le racisme, le suprémacisme, l'homophobie, contre les religions autres que la nôtre (et ce, peu importe ce qu'elle est au départ!), etc. Parfois en allant fouiller le passé pour en  dégager les racines (LoveCraft Coutnry, Underground Railroad) ou en dénonçant le présent (X-Men et TrueBlood comme métaphore de l'homosexualité, entres autres).

Les littératures de l'imaginaire sont un immense terrain de jeu pour qui veut créer un univers différent. Rien ne nous oblige à respecter les grandes tendances de notre monde, les schémas inconscients, les biais que nous avons tous, plus ou moins consciemment.  On peut y dénoncer ce que l'on voit dans notre société, mettre une loupe dessus, parfois en utilisant une métaphore ou encore carrément, imaginer ce qui pourrait être si on avait passé par-dessus ce fait de société. Bref, on dénonce le présent ou on imagine l'avenir.

Il n'y a pas d'oppositions entre les deux: l'un comme l'autre sont des facettes d'une même médaille. La plupart du temps, ce sont des personnes qui sont conscientes de ces problématiques qui les mettent en scène dans la fiction. Aujourd'hui, pas mal tout ce qui promeut l'inclusion et la diversité est affublé du mot woke même si dans les faits, c'est beaucoup plus complexe que ça. C'est surtout parce que les littératures de l'imaginaire et ses dérivés dont ils sont souvent adaptés (films, séries télé), ont souvent été un reflet des sociétés dont elles ont été issues. La série Star Trek a été pionnière en mettant une femme noire dans un poste d'officier, égale en importance et en qualification des autres officiers à bord, mais elle l'a fait en pleine lutte pour les droits civiques des afro-américains. La série imaginait l'avenir. Moins de 15 ans plus tard, Kindred d'Octavia E Butler dénonçait le présent des afro-américains et montrait comment ce phénomène prenait racine dans le passé. Les deux sont également importants pour comprendre le lourd héritage des afro-américains, mais aussi pour montrer une facette de ce que pourrait être leur avenir.

Pour moi, il ne s'agit pas de moyens qui s'opposent. Bon, ma nature foncièrement optimiste n'est pas du genre à préférer les histoires qui dénoncent, même si je les sais absolument nécessaires: il faut parler de ce qui se passe ici et maintenant. Même si on en parle sous forme de métaphore, on dénonce quand même et c'est très important de le faire. Mais j'aime aussi imaginer l'avenir. Parce que justement, cela crée des modèles inspirants, des manières d'être différentes. On ne fait pas que dénoncer, on crée de nouvelles manières d'être et d'agir, ce qui est tout aussi important. 

@+ Mariane

3 commentaires:

Gen a dit…

On peut combiner les deux en fait : souvent le mouvement d'étonnement que ressentiront les lecteurs devant, par exemple, une élite politique entièrement féminine, c'est la meilleure dénonciation qui soit!

Prospéryne a dit…

@Gen, dans le genre de la saison 6 de House of cards avec un cabinet entièrement féminin? Oui, absolument oui! Pas toujours possible quand on veut écrire sur le présent (dans le sens, on a des biais, on est limité par un certain nombre de facteurs, etc), mais oui, totalement oui!

Gen a dit…

@Prospéryne : En effet, quand on écrit sur le présent, des fois c'est dur. Je me suis amusée dans mon roman policier à mettre un perso en scène dans une scène où il est complètement privilégié et aveugle à son privilège... je me demande quels lecteurs le verront.