lundi 13 mars 2023

Je peux exister dans cet univers-là

 Salut,

La vieille querelle. Fantastique vs fantasy. Ok, je me permets si vous permettez. Ouais, je devrais plutôt dire que vous permettiez ou non. Je m'en fiche.

Fantastique vs fantasy donc.

J'aime l'expression fantastique. Je l'avoue sans la moindre honte. J'aime la fantasy aussi, pour d'autres raisons. Mais il me semble que dans ma tête, il y a une différence entre les deux.

Pas celle de Todorov, je me fiche du Todorov et de son doute, rien à cirer!

Non, juste que...

Il y a quelques années à un Congrès Boréal. Quelques années, que dis-je une bonne décennie! On est en atelier et soudain, voilà qu'un auteur que j'aime pour le reste de son oeuvre (ok, c'est Yves Meynard!) parle d'urban fantasy. Et ça me fait l'effet d'ongles sur un tableau à craie. Mais c'est de fantastique dont tu parles que je m'écris de ma chaise dans le public. J'ai été refroidi d'un regard noir comme de l'encre. On ne parlera pas de ça m'a écourté ledit auteur (que j'aime pour le reste de son oeuvre!). J'avais prononcé le mot tabou, le mot-qu'on-ne-prononce-pas-en-sa-présence. Bref, j'avais dit fantastique.

Sauf que son expression à lui d'urban fantasy avait écorché mes oreilles de francophile. Pourquoi au juste utiliser une expression anglophone alors qu'une expression en français existait? Pas une exacte traduction, j'avoue. Et elle traînait les casseroles de Todorov en plus, ce qui faisait un boucan d'enfer. Mais n'empêche, fantasy urbaine non plus ne me semblait pas une bonne traduction. Parce que ce dont il parlait aurait aussi bien pu se retrouver en plein milieu d'un champs que sur Broadway.

Bien plus tard et un confinement dans le corps qui donne une envie folle de reprendre les conversations sur les terrasses, j'atterris sur la terrasse d'une amie (une magnifique terrasse, qui vaut le détour avec ses palmiers, enfin dans le temps, et la conversation des ses habitants, bref, la tienne Gen!) où le mot terrible finit par retentir: fantastique. Et là de me faire dire: le fantastique, ce n'est pas le bon mot, c'est fantasy! Et de me faire expliquer que la différence est (entre autres, je n'ai pas tout retenu, la faute à la délicieuse boisson et à son contenu en alcool ingérée ce soir-là) est dans la construction de mondes. Le fameux worldbuilding des anglos. Ok, j'ai surtout retenu cette notion et ladite personne qui m'en a parlé de façon enflammée (pour ceux qui ne connaissent pas Gen, vous n'avez pas encore compris le synonyme du mot passion envers les littératures de l'imaginaire!). Sauf que j'étais sous influence et je n'ai pas su répondre.

Sauf que ma mémoire et mon cerveau fonctionnent parfois au ralenti, mais tournent aussi vite que la roue d'un hamster lancé à pleine vitesse quand il finit par embrayer.

Et après que mon foie a digéré la dose d'alcool, je me suis mise à réfléchir.

Fantastique donc. Je lui suis fidèle.

Mais merde Todorov!

Le doute de Todorov, élément indispensable de la littérature fantastiques ne vaut que pour si qui a été produit dans le sillage de Maupassant et de son Horlà. Un texte qui pour le reste vaut le détour, mais ne nous écartons pas du sujet. Parce qu'avec son fameux doute, il a réduit à la tronçonneuse le concept de fantastique, l'a réduit à un univers dont on peut douter au départ. Alors qu'au fond, le fantastique, c'est l'irruption d'un élément surnaturel dans notre monde. On peut en doute au départ, mais quand cette réalité est acceptée ou qu'elle l'a été avant le début de l'intrigue... ça change quoi à l'histoire?

Soit dit en passant, on devrait dire fantaisie en français, mais un traducteur des premiers contes fantastiques en français a préféré fantastique à fantaisie.  Ce qui fait qu'encore aujourd'hui fantaisie en français réfère bien plus à l'univers des contes de fées qu'à celui des émules de Tolkien. La source de bien des chicanes de nos jours alors que les anglos continuent leur train-train. Même mes amis anglos ont sourcillé quand j'ai dit fantastique. Mais à force de discours enflammés, j'ai fini par leur faire comprendre la différence.

Dans un univers de fantasy, tout est inventé. On peut inventer la gravité, la monnaie, l'histoire, la géographie, la mentalité des gens, la philosophie, la morale n'importe quoi bon!

Pas dans le fantastique. Le fantastique existe parce qu'il tord les lois du ici et maintenant. Sauf en de rares circonstances, la gravité est la même les lois de la majorité sont les mêmes, les éléments magiques se greffent à cet univers par touche, mais gardent une assise dans le monde réel. 

Bref, je n'ai aucune chance de croiser un jour Gandalf, mais je peux croiser n'importe quel personnage de fantastique dans la rue... parfois sans m'en rendre compte. 

C'est cette possibilité, infime, mais réelle, qui continue de me faire tenir à cette distinction: le fantastique a lieu dans mon monde, il en agrandit les possibilités, mais sa base, son fond profond, s'appuie sur ma réalité. La fantasy n'a pas ce scrupule ou cette limite: il fait ce qu'il veut. Source d'inspiration médiévale, oui, grandes lignes de pensées oui, mais est-ce que je pourrais croiser l'un de ses personnages dans la rue en me rendant au boulot? Non. Même pas le jour de l'Halloween. 

Quelque chose en dessous de la surface est fondamentalement différent. Il y a une coupure, une différence qui n'existe pas en fantastique. Celle-ci se nourrit de la réalité courante des êtres humains non-magiques que nous sommes. Les vampires, les loups-garous et les dizaines d'autres font partie de notre monde, ils en connaissent au moins l'existence, doivent composer avec lui. Les frontières, les langues, l'argent, l'art, la culture, ça fait parti de l'arrière-plan, car le fantastique a toujours ses assises dans notre réalité. La fantasy? Elle en est complètement affranchie.

Je peux exister dans l'univers de Harry Potter, de True Blood, de Twilight, de toutes ces séries qui ont envahi nos écrans et nos bibliothèques depuis des années. Pas dans celui du Seigneur des anneaux, de Games of thrones, de La roue du temps. Ça n'a rien à voir avec la construction du monde (bon, quoique Twilight...). True Blood a construit un très riche univers qui s'entremêle avec le nôtre, sous le vernis de la surface et des apparences, voilà qu'apparaît un tout autre univers, inclus dans le nôtre. On traverse la porte invisible qui mène au quai 9¾ et nous sommes toujours ici.. et en même temps ailleurs.

@+ Mariane

P.S. Si vous ne partagez pas mon opinion, sachez que je respecte profondément ce fait. Mais SVP, ne me faites pas perdre mon temps et ne perdez pas le vôtre à essayer de me faire changer d'avis! :P

3 commentaires:

Gen a dit…

Hihihihi! Oui, je me souviens bien de cette conversation (j'm'ennuie de mes palmiers, vivement l'été) et tu résumes bien la différence entre les deux (enfin pour moi) : en fantasy, la magie fait partie du worldbuilding, on est Ailleurs. En fantastique, on est dans notre monde et le surnaturel permet de tordre les règles.

Reste la question de l'urban fantasy. Par définition, elle est à mi-chemin entre les deux. Comme je t'avais dit, je crois : dans les premiers Twilight, on est en fantastique, mais rendu à la fin, y'a tellement de vampires et loups-garous partout qui contrôlent tout qu'on n'est plus vraiment dans notre monde. Mais ça illustre à quel point la frontière est poreuse.

Quoique... comme je disais récemment sur mon blogue, la frontière SF/fantasy aussi! lol!

Prospéryne a dit…

@Gen, oh, je viens juste de voir ton commentaire!

Tu as raison, si on pousse aux extrêmes, la fantasy peut devenir science (expliquons la magie avec de la science tsé!) et le fantastique de la fantasy (ça a beau se passer à New York, si on est rendu tellement loin dans l'univers fantastique, ça n'est plus vraiment du fantastique).

Je reste sceptique avec urban fantasy parce que ce genre d'histoire pourrait tout aussi bien se passer à la campagne qu'en ville. C'est l'intrusion dans notre réalité qui est pour moi la limite, pas le lieu ou ça se déroule. Même si on s'entend, la majorité du fantastique actuel a lieu dans un cadre urbain/semi-urbain.

Gen a dit…

J'pense qu'en fait on dit "urban fantasy" parce que "modern" ou "contemporary fantasy" ça sonnerait bizarre. Le cadre urbain ou semi-urbain est un peu conditionné par l'époque : de nos jours, les gens vivent dans les villes, faque les créatures magiques aussi.